Un décret autorise l’envoi d’une lettre recommandée par courrier électronique pour la conclusion ou l’exécution d’un contrat
Mais pas pour sa rupture. Pas encore
Après six ans d’attente et un arrêt du Conseil d’Etat donnant six mois au Gouvernement pour le prendre [1], un décret précise enfin les modalités d’application de l’article 1369-8 du Code civil qui autorise l’envoi d’une lettre recommandée relative à la conclusion ou à l’exécution d’un contrat par courrier électronique :
décret n° 2011-144 du 2 février 2011 relatif à l’envoi d’une lettre recommandée par courrier électronique pour la conclusion ou l’exécution d’un contrat (JORF n° 29 du 4 février 2011 page 2274 texte n° 19)
Avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) n° 2010-0764 du 6 juillet 2010 relatif au projet de décret pris en application de l’article 1369-8 du code civil relatif à l’envoi d’une lettre recommandée par courrier électronique (JORF n° 29 du 4 février 2011 texte n° 86)
Pour avoir le contexte et l’état du droit juste avant la parution de ce décret, lisez : Quelques perspectives d’avenir autour de la preuve par courrier électronique / Pierre-Dominique Cervetti, Revue Lamy Droit de l’immatériel janvier 2011 p. 45.
Présentation officielle :
« Le décret précise les caractéristiques de la lettre recommandée envoyée par voie électronique. Il reprend les principales dispositions relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux. Le texte précise les obligations de l’opérateur, le « tiers chargé de l’acheminement » de la lettre recommandée par voie électronique. Préalablement à la mise en œuvre de la procédure d’envoi de la lettre recommandée électronique, l’utilisateur doit être informé des caractéristiques de la lettre recommandée et connaître l’identité du tiers chargé de l’acheminement.
Le texte fixe également les modalités relatives à l’identification de l’expéditeur et du destinataire ainsi que du prestataire qui assure, le cas échéant, la distribution de la lettre recommandée sous forme papier. Le texte fixe les mentions obligatoires que doit comporter la preuve de dépôt et de distribution.
Dans le cas d’une distribution de la lettre recommandée électronique dont le contenu a été imprimé sur papier, le décret prévoit une procédure de mise en instance de la lettre recommandée en cas d’absence du destinataire. S’il s’agit d’une distribution électronique, le décret fixe la procédure permettant au destinataire [non professionnel] d’accepter ou de refuser l’envoi pendant un délai de quinze jours.
Enfin, le tiers chargé de l’acheminement doit mettre à la disposition de l’utilisateur une adresse électronique et un dispositif lui permettant de déposer une réclamation. »
Une présentation plus complète par Net-Iris est disponible.
Tout cela semble a priori assez compliqué. Creusons un peu :
Selon la dépêche de l’AEF de ce jour :
« Ce dispositif de droit commun s’applique à l’ensemble des contrats, y compris le contrat de travail. Mais il ne concerne que la conclusion et l’exécution du contrat. [...] Impossible donc d’envoyer une convocation à un entretien préalable ou une lettre de licenciement par recommandé électronique. »
Selon G. Champeau (Numerama) [2] :
« Annoncé le mois dernier par Eric Besson, le décret encadrant la lettre recommandée électronique est paru ce vendredi au Journal Officiel. Mais il n’apporte aucune garantie sur l’identification de la personne qui accepte de recevoir un courrier électronique, et ne prévoit aucune preuve de la bonne réception du courrier par son destinataire. [...]
L’obligation posée par le code civil de "garantir l’identité du destinataire" n’est pas respectée. Si l’expéditeur communique une mauvaise adresse e-mail ou si le destinataire - à qui l’identité de l’expéditeur est caché - n’est pas le seul à consulter sa boîte e-mail, rien n’est prévu pour vérifier l’identité de celui qui accepte le courrier. Il n’y a pas de signature électronique imposée, contrairement aux envois postaux classiques, où le recommandé sous forme papier n’est délivré (au moins en principe) qu’après vérification de l’identité par le postier.
Par ailleurs, le "postier électronique" a l’obligation de conserver pendant un an "une preuve de cet envoi", mais il n’est pas exigé de preuve de la réception. "Si l’expéditeur a choisi l’option avec avis de réception", celui-ci indique simplement "la date et l’heure à laquelle le destinataire a accepté ou refusé de recevoir la lettre recommandée électronique". Rien n’est prévu pour le cas où un problème technique empêcherait la bonne délivrance du courrier après acceptation de l’envoi. Il n’est pas non plus prévu, d’ailleurs, le format auquel doit être envoyé le courrier. Peut-il s’agir d’un format propriétaire en pièce-jointe (PDF, Word,...), ou d’une simple page HTML distante ouverte dans un navigateur après un clic sur un bouton "J’accepte" ?
Ces problèmes, qui font pourtant peser un risque de validité juridique des lettres recommandées électroniques, n’ont pas été soulevés par l’ARCEP dans son avis. »
En fait, selon Me Isabelle Renard, une des meilleures spécialistes du droit français de l’informatique et de l’Internet, ce serait encore pire [3] :
« Le courrier recommandé tout électronique ne peut pas se déployer de façon substantielle en l’absence de présomption sur la fiabilité de la date de réception. Les fournisseurs de recommandés "tout électroniques" devront encore attendre pour diffuser leurs offres. [...] Le seul véritable apport du décret du 2 février est de pouvoir substituer à la Poste un autre prestataire agréé de services postaux. »
En effet, nulle part dans le décret n’apparaît d’obligation pour le tiers de confiance de recueillir la date de réception finale et les conditions pour que celle-ci soit fiable. Il n’est question que de date de dépôt.
Selon Le Monde informatique de ce jour [4] :
« Le courrier électronique recommandé ne sera conservé qu’un an par l’opérateur. Cette limite de durée très courte risque d’être problématique en cas de procédure judiciaire. Cette dernière peut en effet durer des années et l’expéditeur ou le destinataire vont devoir prendre leurs précautions en conservant précieusement les traces de leurs échanges avec l’opérateur. »
Attention : si un destinataire non-professionnel doit toujours donner son accord préalable à la réception d’une LRE par courrier électronique [5], en revanche, le professionnel ne peut apparemment pas refuser la réception d’une LRE. C’est du moins ce que dit une interprétation a contrario du décret. Sur le site Localtis [6], Philippe Ballet, avocat au cabinet Bensoussan, fait remarquer que « le texte ne délimite toutefois pas la notion de "non-professionnel" alors que celle-ci introduit une importante différenciation de procédure ».
Dans une actu publiée dans la newsletter en ligne ActuEL-RH du 8 février [7], Emmanuel Walle, avocat, recommande de coupler la lettre recommandée électronique avec la signature électronique : « Cela permet d’assurer l’identité de l’expéditeur et du destinataire mais cela suppose d’être équipé d’une empreinte électronique propre ».
Plusieurs observateurs notent enfin que la procédure instaurée par ce décret est assez lourde. En ces temps de "forum shopping", les entreprises avec siège ou filiale à l’étranger seront tentées d’envoyer ces e-mails depuis l’étranger mais le consommateur étant français, devrait être "protégé" par son droit national. En revanche, pour les professionnels ...
Cette fois, ça y est (presque, voir les avis d’Isabelle Renard et G. Champeau supra). Avec ce décret, il va peut-être falloir surveiller plus sérieusement et régulièrement sa mailbox et, idéalement, adopter un smartphone. En tant que professionnel, et plus encore en tant que particulier. Les vendeurs de mobiles et de tablettes (selon la Tribune, les marges brutes usuelles sur les tablettes en France sont de 30 à 40% contre 5 à 10% sur les PC) doivent se frotter les mains.
Il va peut-être falloir aussi sécuriser sérieusement son ordinateur si ce n’est pas déjà fait [8], le piratage des messageries étant une pratique quotidienne.
Très peu de personnes possèdent et utilisent une signature électronique authentique, c’est peut-être pour cela que le décret fait l’impasse sur l’exigence d’une signature électronique du destinataire pour s’assurer qu’il a bien reçu le courrier et surtout que c’est bien lui *personnellement* qui l’a reçu. Mais on peut aussi penser que le Gouvernement a mis la charrue avant les boeufs ou bien qu’il n’a pas fini son travail.
Les bibliothécaires documentalistes et autres gestionnaires d’abonnements et acheteurs sont concernés, puisque, même si ça ne correspond pas à leurs usages [9], les éditeurs pourraient leur soumettre des nouveaux abonnements par ce biais ou du moins des avenants. Mais pour résilier, ce sera encore le bon vieux papier avec une LRAR classique.
Les professionnels de la gestion d’information peuvent se prémunir en créant ou renforçant leurs conditions générales d’achat (un concept à développer) pour ajouter au formalisme prévu par la loi un formalisme complémentaire plus sécurisé : concrètement, il suffit d’indiquer dans ses CGA que tout contrat conclu hors de ce formalisme n’engage pas la structure.
Emmanuel Barthe
juriste documentaliste veilleur
NB : la Poste offre d’ores et déjà un service de LRE. Par la suite, d’autres sociétés devraient également suivre.
Notes
[1] CE, 6e et 1re ss-sect. réun., 22 oct. 2010, n° 330216, Société Document Channel. Inédit au Recueil Lebon.
[3] Publication du décret pour les lettres recommandées : une fausse bonne nouvelle / Isabelle Renard, Journal du Net 7 février 2011.
[4] La lettre recommandée électronique devient réalité par décret / Bertrand Lemaire, LMI 7 février 2011.
[5] Aussi, une fois informé par courrier électronique qu’une LRE va lui être envoyé par un expéditeur dont l’identité demeure inconnue, le destinataire non-professionnel dispose de quinze jours pour accepter ou refuser ce mode de réception.
[6] Parution du décret sur la lettre recommandée électronique / Philippe Ballet, Localtis 4 février 2011
[7] "La nouvelle lettre recommandée électronique est elle fiable ?", ActuEL-RH 8 février 2011.
[8] Il faut au minimum : un firewall/parefeu matériel (routeur d’entreprise ou box ADSL) et logiciel (pour les particuliers et les TPE, Comodo est un des meilleurs du moment), un logiciel antivirus et un logiciel anti-spyware/anti-logiciels espions. Pour les PME et grandes entreprises, ajouter : une DMZ, un VPN (réseau privé crypté).
[9] En général, à l’heure actuelle, les éditeurs envoient un bon d’abonnement/de commande par fax, courrier ou pièce attachée (e-mail).
Commentaires
2 commentaires
Un décret autorise l’envoi d’une lettre recommandée par courrier électronique pour la conclusion ou l’exécution d’un contrat
Bonjour,
l’article avance que la Poste dispose déjà d’un service de Lettre Recommandée Electronique. En réalité, la LRE de la Poste est une solution dite "hybride" : envoi des informations (destinataire(s) et message) par voie électronique à un prestataire d’éditique (Maileva, filiale du Groupe la Poste) chargé de matérialiser (impression, mise sous pli, remplissage et collage de la liasse LIRE) la lettre sous format classique et dépôt. Aucun changement donc pour le destinataire, puisque la LRE est en réalité une bonne vieille Lettre Recommandée papier dont on confie la fabrication à un imprimeur :). La LRTE (LR "tout électronique") de la Poste est à l’étude, mais pas encore mise en marché.
Merci de votre attention.
Cdt
Un postier
Un décret autorise l’envoi d’une lettre recommandée par courrier électronique pour la conclusion ou l’exécution d’un contrat
La lettre recommandée électronique 100% électronique existe. Signée électroniquement , elle est parfaitement fiable et légale.
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