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Un Palais de justice sans Internet ?
Accès à Internet dans le futur tribunal de Paris : le débat, les solutions

Cet article a été contribué par Jean Gasnault, que je remercie pour sa participation à ce blog.


Tout a commencé samedi dernier en fin de soirée lorsque un tweet a signalé la mise en ligne de cet article du blog « Crocs de Boucher » de M. Thierry Lévêque (journaliste à l’agence Reuters, accrédité au Palais de Justice, ayant suivi les grands procès de ces 20 dernières années) ayant pour titre « France, 2015 : le tribunal le plus cher et le plus "hype" du monde interdit… l’internet ». La lecture de cet article est édifiante. On y apprend qu’il n’y aura pas d’accès internet dans les salles d’audience. Mauvaise réception de 4G anticipée ? Wifi refusé par le personnel judiciaire au nom du principe de précaution ? Plus efficace : mise en place de système de brouillage.

Pourquoi ? Il semble que la cause en soit le cyberterrorisme. L’attaque dont TV5 a été dernièrement victime et le cyberdihadisme qui a frappé divers sites publics juste après le 11 janvier, prouverait la gravité du danger auquel les réseaux de la Tour-Palais seraient exposés. Donc personne en salle d’audience du futur Palais, y compris les magistrats, ne se servirait plus d’Internet.

Débat

La nouvelle a flambé sur Twitter en moins de six heures, quelques grands noms rencontrés sur le Web juridique : Maître Eolas, Bernard Lamon, Kami Haeri, et d’autres ont multiplié les commentaires critiques et ironiques (pour en lire quelques uns). On doit l’un des plus spirituels à Me Eolas :


D’autres avocats sont venus demander si l’Ordre des avocats de Paris avait été averti de ce choix technologique. Pour l’instant, du côté de la place Dauphine, on ne note pas de réaction. Pas encore.

Préjudices

Pourquoi une réaction aussi vive des journalistes judiciaires et des avocats dit « de Palais » (ou avocats plaidant) ? Pour les comprendre, il faudrait vivre leur vie.

Les journalistes judiciaires, qui connurent leurs heures de gloire au temps de Joseph Kessel puis aux premières heures de la télévision, ont mis à profit les réseaux sociaux pour faire vivre le suivi haletant des procès médiatiques avec des live tweets. Premiers touchés par cette annonce, ils ont réagi plus que vivement par un communiqué officiel : « Fini les live-tweet ou live-blogging qui, rappelons-le, ne sont pas interdits par les textes. Et aucun de nos interlocuteurs n’a été en mesure de nous dire qui était à l’origine de cette demande. » Il est vrai qu’Outre Atlantique la tendance à twitter pendant les procès n’est pas forcément bien accueillie comme on en peut juger par cet article du site américain en e-journalisme Poynter : « Many judges do not agree that courtroom tweets should be permitted ». Que la pratique du tweet en audience puisse avoir besoin d’être canalisée, on n’en disconvient pas, pour autant faut-il la bannir ?

Quant aux avocats, habitués à passer de longues heures en audience, ils avaient progressivement accueilli l’arrivée des portables, mobiles, tablettes comme un miracle technologique : enfin de quoi pouvoir rester relié au bureau, répondre en temps réels à d’autres clients ou bien parfaire ses recherches sur Legifrance en attendant son tour. Et maintenant qu’ils ont intégré cet usage, on voudrait les en priver à partir de 2017 ? Si un magistrat a pu être légitimement condamné pour avoir twitté pendant une audience où il siégeait, doit-on pour autant considérer qu’un avocat n’aurait pas le droit de se servir d’Internet pendant la partie de l’audience qui ne concerne pas son client. L’amalgame semble un peu rapide.

De plus faudra-t-il étendre cette mesure technique à tous les tribunaux de France ? Par mesure d’équité et d’égalité de traitement de tous devant la pratique de la justice ? La plus infime des failles dans l’application strictement égalitaire de ce dispositif dégagerait un fumet d’article 6 (atteintes aux droits de la défense) qui mettrait la CEDH sur la piste des tribunaux français. Personne ne souhaite voir la France inaugurer cette grande réalisation avec une publicité de ce type.

Solutions

Depuis ce matin la presse à son tour y est allé de ses commentaires : Libération, Numérama. Chacun s’interroge. Comment cette mesure a-t-elle être prise avec aussi peu de concertation ? N’y avait-il pas moyen de régler ces questions de sécurité d’une autre manière ?

Pour l’accès à la documentation juridique, il est vrai que d’autres solutions pourraient suppléer cette absence de réseau en embarquant les fonds législatifs et jurisprudentiels en les stockant sur les supports mobiles des avocats. Mais les avocats plaidants ne comptent pas parmi les avocats les plus riches de la profession. Quel financement envisager pour les soutenir ? Et quand bien même, les avocats resteraient privés de l’accès à leur messagerie. Dans l’emballement des moyens de communication moderne, comment parvenir à expliquer aux clients qu’il faut revenir aux pratiques du XIXème siècle ? Dans une Tour-Palais, symbole plus que visible de la justice du XXIème siècle ?

Les grands Cabinets d’avocats vivent dans un contexte technologique tout aussi exigeant : leur réseau, même dans le Cloud, doit être toujours plus impénétrable. Et pourtant, ils doivent fournir à leurs clients un accès internet dans leurs bureaux. La solution la plus pratiquée revient à gérer deux réseaux : un réseau très protégé pour les professionnels au sein de la structure et hermétiquement séparé de ce premier, un deuxième réseau, protégé lui aussi, mais temporairement « sacrifiable ». En cas d’attaque, il est arrêté, nettoyé, remis en état, patché de divers compléments de protection et redémarré.

Une solution de ce type n’était-elle pas envisageable ?

Jean Gasnault
Président de Juriconnexion, association d’utilisateurs de l’information juridique sur supports électroniques.