Téléchargez de la musique gratuite et légale sur Jamendo — et ailleurs
Une limite : la qualité des morceaux, inégale — Et bien lire les clauses du contrat Pro
Allez, un site de téléchargement gratuit de MP3, un ! Mais légal celui-là : Jamendo
http://www.jamendo.com
Le site est rapide en téléchargement et affichage, très facile à utiliser et on peut y faire de bonnes découvertes. Son business model a beaucoup évolué.
Histoire de Jamendo
Lancée début 2005 [1] et fondée par Sylvain Zimmer [2], Laurent Kratz (CFO jusqu’en 2010) et Pierre Gérard (DG) avec une équipe de seulement 4 salariés dans le "noyau dur" au départ, plus 5 bénévoles (équipe qui passera ensuite à environ 20 personnes), Jamendo SA, à l’origine une propriété de PeerMajor Sarl [3] [4], fait maintenant partie du paysage musical, au-delà de la start-up. Elle a dépassé les 10 000 albums le 20 juin 2008 et les 35 000 albums fin 2012 [5]. Preuve qu’elle était devenue une entreprise adulte, Jamendo a réussi une première levée de fonds en juillet 2007 auprès du fonds de capital risque Mangrove Capital Partners, qui fut le premier investisseur institutionnel de Skype [6], a lancé une nouvelle version incluant de la publicité [7] puis a quitté l’incubateur [8] qu’était le Technoport du Centre de recherche public Henri Tudor (situé dans la banlieue de Luxembourg) le 29 avril 2008 pour déménager dans le centre ville près de la gare de Luxembourg dans des locaux bien à elle.
Début 2010, le site est passé près de la faillite, pour être finalement repris par la société française MusicMatic, spécialiste de la diffusion de flux musicaux dans les réseaux de points de vente [9]. De 15, l’équipe est réduite à 10 personnes. Laurent Kratz quitte la direction. Le CEO (président) de Jamendo, c’est maintenant Alexandre Saboundjian [10].
Comment le business model de Jamendo a t-il évolué depuis ses débuts ? Lancé à l’origine (2005-2006), avec une orientation très libre (cf les cases à cocher "Albums autorisant les usages commerciaux" et "Albums autorisant les travaux dérivés") et un financement de type start-up plus dons, Jamendo est passé mi-2007 à la publicité en ligne — les artistes pouvaient toucher une part de ces revenus —, puis à la revente (plus précisément un contrat de licence non exclusif) de contenu pour des utilisations commerciales (voir la FAQ de Jamendo) par
la licence (contrat) Jamendo Pro. Une sorte de Sacem alternative (voir à la fin de cet billet). Soit depuis le début un refus, tant de l’idéalisme et de l’activisme à tendance idéologique, que des modèles payants classiques de l’industrie musicale [11]. Le 8 mars dernier, Jamendo a réinséré dans ses conditions générales la possibilité d’insérer des publicités sur le site (modèle freemium partiel, donc).
L’aspect licence libre qui fait partie de l’image du site aide beaucoup à sa réputation et ses affaires mais ne fait donc pas partie stricto sensu du business model.
Les concurrents
Ses "concurrents", aux modèles d’affaire plus ou moins différents ? Citons ici ceux évoqués dans les forums de discussion ou par les publicités :
- rivaux dans le style plus ou moins gratuits et démarchant en partie les mêmes artistes "alternatifs" ou amateurs :
- le label américain Magnatune : les artistes reçoivent 50% du prix
- deux associations françaises : lamusiquenapasdeprix (site totalement privé) et Musique Libre (site web Dogmazic.net). Les artistes reçoivent la totalité des dons, ce sont les membres de l’association qui financent et maintiennent serveurs, hébergement et connexion
- créé en 2003, Airtist permettait d’acheter mais aussi de télécharger gratuitement un morceau en visualisant une publicité. Airtist a été placé en liquidation judiciaire en janvier 2011, le site a été sauvegardé au cas où un repreneur se manifesterait
- altermusique.org, un site lancé [12] en 2008 et développé par Sylvain Eliade, le développeur en chef des Skyblogs. Son modèle : « le téléchargement en basse et moyenne qualité sont disponibles gratuitement. L’artiste choisit lui même les conditions d’accès à l’édition en haute qualité : gratuite, payante à prix fixe, ou payante à prix libre ». On y trouve d’excellents morceaux, comme par exemple sur l’album électro de Realaze A part of me
- sites payants vendant les productions des majors : iTunes d’Apple, Amazon [13], Virgin Mega, Fnac Music, HitMuse [mise à jour au 14 février 2011 : site disparu] ou LastFM vendent les morceaux des musiciens "commerciaux" en téléchargement au format MP3. C’est moins cher qu’en CD et disponible à l’unité ou sur abonnement (forfaits limités, ou illimité aux alentours de 10 euros le mois), pas seulement en album.
Côté "contrats", ne pas oublier que le concurrent, là, est la Sacem [14] (voir les développements en fin de billet) [15].
Les outils de Jamendo
Les outils de Jamendo ? Côté artistes, un logiciel pour uploader les CDs (Jamloader) et un autre pour distribuer à la sortie des concerts l’enregistrement live sur clés USB (ccLive). Côté utilisateurs, un téléchargement soit par les réseaux peer-to-peer (BitTorrent), soit en .zip (fonctionnalité mise en service en 2008 seulement), assez pratique pour ceux que rebutent l’installation et l’utilisation d’un logiciel de téléchargement P2P, et des fonctionnalités interactives devenues classiques : tags, playlists, commentaires critiques, "liker", forums de discussion, messages privés et espace perso.
Quelles musiques, quels types d’artistes sur Jamendo ?
Les artistes présents sur Jamendo, même si le site laisse plutôt entendre le contraire, semblent de facto sélectionnés. Ils sont "likés" ("J’aime" ou "J’aime pas") [16] et critiqués par les utilisateurs enregistrés.
Voici dix sélections (on dit "playlists") réalisées par Jamendo pour leur partenaire MP3tunes. Ca vous donnera une idée.
Sinon, côté jazz/piano, vous pouvez directement télécharger Rob Costlow, Anthony Raijekov, Whiteyes, Jaime Heras ou Ehma. Dans la section rock, je recommanderais Rhyn, un groupe d’Anglais d’Amersham, les quatre Londoniens de Hype avec leur album Lies and speeches, le Canadien Brad Sucks pour son album I don’t know what I’m doing, les Allemands Nobody d’Osnabrück (pour leur album Nodody is nobody) et blackjazzmaster de Neustrelitz (leur album pictures). Mes favoris côté chanson : une jolie voix russe avec une guitare et des paroles simples et émouvantes, Alexandra Bondarenko, son album Ptitsa (L’oiseau) est une petite merveille ou Eveliana, un rocker français à vraies paroles — pas loin de Jean-Louis Aubert. Et si vous voulez danser sur de l’Europop des années 90-2000, les plus de 20 albums de l’excellent brésilien DJ Octx sont ce qu’il vous faut.
Jamendo est un site très sympa — très bonne ambiance dans les forums, critiques constructives — et on y trouve de vraiment bons albums — comme ceux que je viens de citer — [17], mais vous n’y trouverez que peu de musique de qualité professionnelle, en tout cas pour l’instant. Peu de tubes à potentiel commercial, et des styles musicaux dénotant le plus souvent le (bon, voire très bon) amateur ou le semi-pro. En clair, de la musique le plus souvent assez facile, manquant plus ou moins selon les cas d’inspiration, de "classe", de folie ou d’originalité — cela dit, il y déjà tant de musique commerciale de qualité très moyenne ... Pour reprendre l’exemple cité plus haut, en piano jazz, on ne trouve pas (et c’est normal après tout) d’artistes de la classe de Keith Jarret sur Jamendo. Rob Costlow n’est pas Ahmad Jamal ou Laurent de Wilde. C’est dans les niches inexploitées par les labels que Jamendo s’en sort probablement le mieux, le meilleur exemple étant la musique électronique, une catégorie aujourd’hui délaissée par les professionnels, surtout le style Jean-Michel Jarre (sur Jamendo : Adam Certamen Bownik), la trance de Greg Baumont (un Français, si, si), le synthé (Syntharmony) [18] ou encore, en électro techno, Professor Kliq et Ogg Vorbis.
Cela dit, Jamendo travaille maintenant en partenariat avec quelques labels pro comme Paperworkmedia par exemple qui leur envoie des albums. Citons par exemple, parmi ces albums de facture plus professionnelle, celui de Brooke Miller ou le 2 titres de 2005 du guitariste Don Ross (guitare sèche).
Business model et contrats avec les artistes
Côté contrats/conditions d’utilisation, les morceaux [19] sont en général réutilisables pour une utilisation non commerciale, par le biais d’une licence Creative Commons (CC) de type BY-NC-ND (et non BY-NC-SA). Attention, cette licence est plus restrictive qu’elle n’en a l’air [20]. Ce qui amène certains, très exigeants (aux CC, ils préfèrent la licence GPL), à souligner avec justesse que Jamendo ne diffuse pas vraiment de la musique libre stricto sensu (on ne peut pas en faire ce qu’on veut [21]).
Les limites supra expliquent pourquoi Jamendo a développé une licence commerciale, nommée Jamendo Pro. Leur musique peut alors avoir une utilisation commerciale. On n’est donc plus vraiment dans les licences libres (d’ailleurs, seule la licence CC BY-SA, minoritaire sur Jamendo, est une licence libre [22]) mais plutôt dans [23] la musique libre de droits. Concrètement, la licence Jamendo Pro permet de diffuser les morceaux des artistes Jamendo qui l’ont acceptée dans des bars, restaurants, magasins, salons d’attente etc. Jamendo leur reverse alors 50% des revenus. Il est alors un concurrent de la Sacem. Cet éloignement des idéaux de la musique libre et la confusion entre les licences CC Jamendo et le contrat Jamendo Pro est dénoncé par le Comité de vigilance contre le détournement mercantile des licences ouvertes sur leur blog Jamendouille et chez ChefGeorges.
Mais les licences libres font également l’objet d’avertissements de professionnels du marketing musical qui soulignent d’importants problèmes pour les musiciens :
- les licences libres — ne semblent de facto pas acceptées par le "système" de la musique professionnel (Sacem, producteurs, labels, distributeurs ...) [24]
- une fois un morceau mis en licence CC avec reproduction libre, même limitée à une utilisation non commerciale, il devient pratiquement impossible de se mettre à le vendre : il a été reproduit (légalement) partout et il est (légalement) impossible d’interdire aux sites l’ayant copié de continuer de le mettre à disposition ...
- la Sacem refusait jusqu’en 2012 de prendre les artistes mettant leur musique en licence libre et ne le fait aujourd’hui qu’avec des limites
- le pourcentage des revenus versé par la licence Jamendo Pro est donné dans les témoignages pour moins élevé pour l’artiste que le contrat Sacem.
Enfin, si mettre sa musique chez Jamendo implique qu’on n’a rien à payer à la SACEM, les utilisateurs des musiques diffusées en France doivent quand même s’acquitter de droits, reversés aux artistes interprètes et aux producteurs, qu’on appelle la "rémunération équitable". Ces droits sont perçus par la Société pour la perception de la rémunération équitable (SPRE). C’est ce que Jamendo a découvert en 2009 [25].
Emmanuel Barthe
documentaliste juridique grand amateur de MP3 légal
NB : Analogie avec l’édition juridique : pour des utilisateurs exigeants, le gratuit ne saurait remplacer le payant.
Notes
[1] Jamendo est une société anonyme (SA) de droit luxembourgeois créée en novembre 2004. Communiqué de presse de janvier 2005 (format PDF). Télécharger légalement de la musique sur Jamendo, La Croix 19 avril 2005 (PDF). Musique lorraine en ligne, L’Est Républicain du 14 mars 2005 (PDF). Lire aussi La musique sur le Net en toute légalité, Le Quotidien 23 janvier 2006 et Jamendo : une alternative pour la musique en ligne, Le Journal du Net 12 décembre 2005.
[2] Zimmer est aussi l’informaticien en chef (CTO) de Jamendo.
[3] MP3 sans DRM Part 3 : Jamendo / Sylvie Krstulovic, My Music (le blog de l’auteur) 17 mars 2005.
[4] En 2008, lors de l’écriture initiale de ce billet, PeerMajor était introuvable au RCS luxembourgeois. C’était probablement une pure holding et Mangrove Capital Partners avait déjà pris la suite ...
[5] Certains albums ne contenant, certes, que 2 ou 3 morceaux.
[6] Voir l’article du 18 juillet 2007 sur Generation Nouvelles Technologies et le communiqué de presse de Jamendo.
[7] Essentiellement de la publicité pour des sites de vente de musique en ligne et de rencontres, même si comme ailleurs, ce sont des régies publicitaires et non l’équipe de Jamendo qui décide des campagnes de pub’. D’après le bien informé Eon, « quelque temps après son lancement, Jamendo a traversé une passe difficile envers sa communauté. Jamendo est une société à but lucratif et il lui fallait définir un moyen de trouver des revenus. Après de longues réflexions, Jamendo a choisi la publicité. On peut critiquer ce choix, mais les dons ne sont pas à la hauteur du budget du fonctionnement du site. »
[8] Voir les articles de presse luxembourgeoise sur cette sortie de l’incubateur.
[9] Jamendo trouve son repreneur et évite la faillite (MAJ) / Guillaume Champeau, Numerama 12 avril 2010. Voir aussi le communiquéde Jamendo.
[10] Alexandre Saboundjian : « L’ADN de Jamendo est bon », PaperJam 22 juin 2010.
[11] Lire la discussion, lancée par djepsilon, qui s’est tenue en avril 2005 dans les forums de Jamendo sur le modèle de Jamendo et ses différences et points communs avec ses "concurrents".
[12] Communiqué de presse : lancement du site Altermusique.org (PDF), 17 juillet 2008.
[13] Amazon est très agressif sur la musique numérique. Son offre Cloud Player lancée en 2012 marche clairement sur les plates-bandes d’iTunes.
[14] La SACEM pour les nuls / Fred Reillier.
[15] Voir l’article du site Ecrans de Libération : Jamendo : « On s’est dégagé de tout le bagage historique de la Sacem », où le fondateur Sylvain Zimmer est interviewé le 14 mai 2009 par Astrid Girardeau. Dans la FAQ actuelle (début 2013) de Jamendo Pro, la réponse à la question "Comment est-il possible de ne plus payer la SACEM/SABAM/ASCAP/BMI/SGAE/GEMA ... ?" est : « Contrairement aux idées reçues, l’inscription aux sociétés de collecte (SACEM, SABAM, SGAE, SIAE...) n’est pas une obligation pour les artistes. Les artistes disponibles sur Jamendo PRO ont opté pour un mode de distribution alternatif de leur musique : ils ont choisi de ne pas s’affilier aux sociétés de gestion et de collecte de droits d’auteurs. L’utilisation et la diffusion de leur musique n’entraînent aucune redevance à ces sociétés de gestion. Jamendo PRO se charge de collecter et redistribuer aux artistes 50% des revenus au prorata des licences vendues. »
[16] En 2008, on pouvait leur donner une note de 1 à 10.
[17] Pour une bonne sélection, s’abonner au fil RSS du blog de Jamendo. Et surtout, écrivez des critiques et élaborez des playlists : elles vous attireront des mails d’artistes qui estiment que leurs albums sont dans vos goûts. C’est ainsi que j’ai découvert Jaime Heras et je ne le regrette pas.
[18] Ecoutez donc, de Syntharmony, RumbaTech ou Crossing the desert.
[19] Attention : il faut regarder ça morceau par morceau ...
[20] Jamendo et les licences / Sylvain Eliade, bohwaz (son blog) 4 octobre 2007.
[21] En 2008, seulement 16% des albums sur Jamendo permettaient la modification et diffusion sans contrainte (BY-NC-SA). En sens inverse, même sans autoriser la modification, les jeunes artistes doivent faire attention : une fois posté en licence libre, un album ne peut plus être "rattrapé". Autrement dit : en pratique, on ne peut plus le vendre à une maison de disques/toucher de droits d’auteur dessus.
[22] Attention aux confusions : libre au sens de licence libre, logiciel libre ou musique libre, ce n’est ni du simplement gratuit ni du libre de diffusion. Ce qui n’empêche pas que le gratuit ou le libre de diffusion puissent être très intéressants.
[23] Voir ces deux billets précis sur le blog de ChefGeorges.
[24] La face cachée des créatives commons ... / Virginie Berger (DBTH), 22 février 2011, sur son blog Don’t believe the Hype.
[25] Jamendo rattrapé par les droits voisins / Arnaud Devillard, 01net 26 juin 2009.
Commentaires
2 commentaires
Sites de téléchargement de musique légale et gratuite : une mise à jour
Mise à jour à mars 2017 des concurrents de Jamendo. Le mots-clé est maintenant "creative commons", je crois, et non plus gratuit/free.
Quelques sites :
https://soundcloud.com/creativecommonsmusicfree
https://creativecommons.org/about/program-areas/arts-culture/arts-culture-resources/legalmusicforvideos/
http://freemusicarchive.org (FMA)
Quelques listes de sites (commentées) :
https://framazic.org
http://www.hongkiat.com/blog/creative-common-music-download/
http://www.makeuseof.com/tag/14-websites-to-find-free-creative-commons-music/
Le business model de Jamendo c. les sociéts de droits d’auteur (SPRE, SACEM etc.)
Une chose qu’il faut bien comprendre sur le business model de Jamendo : leurs contrats ne sont pas forcément rédigés par des enfants de choeur.
Lisez donc cet article de NextINpact et les commentaires en dessous :
En appel, le combat de Jamendo contre la redevance sur la musique en Creative Commons, par Marc Rees, 12 février 2018
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