Revues juridiques : le début d’un retrait ?
... et les juristes ont toujours autant de mal à tout lire
Après les annonces du Groupe Moniteur sur la suppression de deux titres [1], notre collègue Jean Gasnault s’interroge : le nombre de titres de presse juridique est-il en diminution ?
De notre point de vue, oui et non, en tout cas pour l’instant. Certes, on peut détecter le début d’une tendance :
- certaines revues créées par Lamy (Wolters Kluwer France, pour être précis) ces 20 dernières années, principalement les Revue Lamy droit des affaires (RLDA) et Revue Lamy droit civil (RLDC), ont du mal à percer [2]
- LexisNexis a supprimé une revue en droit agricole et fusionné en 2015 deux autres (Environnement et développement durable et la Revue des transports)
- arrêt du remarquable Journal de l’Environnement (JDLE)
- suppression toute récente de deux titres chez Dalloz : AJ Contrats d’affaires et Dalloz Avocats Exercer Entreprendre
- arrêt fin 2020 des revues "Penant : revue de droit des pays d’Afrique" [3] et "La revue juridique & politique des États francophones", publiées par les Editions Juris Africa (EJA). Selon notre collègue Rémy Lérignier, la baisse des abonnements serait la cause principale de cette cessation de parution. II ne semble pas pour l’instant qu’il y ait une proposition de reprise par un autre éditeur.
Mais en sens inverse, sur les vingt cinq dernières années, les éditeurs juridiques ont créé tant de revues qu’il ne faudrait pas tout de suite commencer à se lamenter. Lextenso a récemment créé beaucoup de titres (L’Essentiel). D’autant que (je l’ai souvent écrit), les services de veille eux se développent. D’ailleurs, on peut se demander si les revues L’Essentiel de Lextenso ne sont pas des newsletters de veille jurisprudentielle ...
Il n’empêche, le futur proche inquiète, entre exigences de rentabilité et peut-être plus fondamental, le développement des newsletters et services de veille juridique.
Avis aux éditeurs n° 1 : face au droit brut et aux produits de pure veille, les juristes n’ont plus le temps pour cette "douche sous pression". Ils ont toujours besoin de sélection drastique et de vrais commentaires de fond, avec du recul et de la critique, et ils ont toujours besoin d’intermédiaires (documentalistes, paralegals ...).
Avis aux éditeurs n° 2 : il y a là, également, un problème pour eux et leurs auteurs, dont beaucoup sont des universitaires, car supprimer des revues, c’est réduire les possibilités d’être publiés pour leurs auteurs (pour qui publier et être lus est une condition sine qua none de leur carrière académique [4]). D’autant plus que l’attractivité et la lecture des revues juridiques baisse face aux newsletters (et chez les jeuness juristes aux réseaux sociaux, malgré leurs difficultés à les exploiter pleinement mentionnées supra) et que les ouvrages publiés par ces mêmes auteurs chez les éditeurs, à part Lextenso et Dalloz, se vendent depuis longtemps mal en papier et sont pour l’instant peu ou pas publiés en ligne ... [5]
Surtout si le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) venait un jour à prendre en compte les publications en open access voire certains blogs personnels [6]. Ce qui, quand on voit la qualité de certaines [7], ne serait que justice.
Quelques billets publiés sur ce blog pour bien remettre ce début de tendance en contexte :
- Les grands éditeurs juridiques se diversifient : comment et pourquoi
- Suivre l’actualité juridique ou Les défis de la veille
- Créer de nouvelles revues juridiques : un outil pour fidéliser clients ... et auteurs
- Des newsletters juridiques fiables. Ou : la veille par les éditeurs.
Emmanuel Barthe
bibliothécaire documentaliste juridique
Notes
[1] Groupe Moniteur : les syndicats inquiets pour la survie de plusieurs titres, La Lettre A, 7 janvier 2021.
[2] Taux de citation très faible, peu lues, peu d’auteurs prestigieux.
[3] Le Penant existait depuis 1891.
[4] Le fameux "Publish or perish", avec en France l’évaluation des Universités par l’AERES.
[5] Voir notre billet Le difficile équilibre financier des ouvrages de droit : chiffres de vente et prix moyen.
[6] Tiens, Acheronta Movebo, par exemple, le blog et site de cours de l’enseignant Nicolas Catelan, avec son excellent cours de droit pénal financier en ligne gratuit.
[7] Voir notre billet Revues juridiques en accès gratuit : une sélection.
Commentaires
3 commentaires
Revues juridiques : le début d’un retrait ?
Bravo, comme toujours, pour la qualité de vos analyses et écrits.
Cela fait bien longtemps que je ne vous ai écris, la dernière fois, c’était sur la formation professionnelle.
Sur le présent sujet, je pense que vous pouvez ajouter dans l’équation le fait que tous les éditeurs de revues juridiques - lexis et dalloz, c’est certain - sont d’une manière ou d’une autre engagés dans les outils liés à l’"IA" juridique - terme derrière lequel on peut mettre pas mal de choses :)
Ce qui doit également correspondre grosso modo, du moins dans un premier temps, à une stratégie à moyen et long terme plus fondée sur les grands domaines juridiques, au sens large, et non sur des taxinomies détaillées intra domaines, qui correspondent plus aux revues juridiques.
Voilà, si cela peut être utile, tant mieux.
Bonne continuation à vous.
Cdt.
Paul
Revues juridiques : le début d’un retrait ?
Juste une petite remarque : l’AERES n’est plus... c’est maintenant l’HCERES (tout aussi contestable est-elle et désormais désertée par les universitaires en lutte contre les effets de la LPR)
Revues juridiques : le début d’un retrait ?
C’est corrigé, merci.
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