Réforme de la formation professionnelle : à quelle sauce serez-vous mangé ?
La réforme de 2018 fait peu de gagnants
[ mise à jour au 18 octobre 2020 : l’entrée en vigueur de Qualiopi, certification nécessaire pour bénéficier de financements publics et paritaires, a été repoussée au 1er janvier 2022 (prévue initialement le 1er janvier 2021) conformément au 1° du I de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-387 du 1er avril 2020 portant mesures d’urgence en matière de formation professionnelle ]
Alors que le secteur de la formation professionnelle continue est en crise, la politique du gouvernement depuis 2018 — , comme l’expliquait un commentaire sous notre billet sur la crise de la formation et les solutions envisageables [1] — est de faire porter les moyens en formation sur les personnes sans emploi et non sur les salariés, et, côté entreprises, sur les TPE (moins de 50 salariés) et non sur les grandes entreprises.
Il est donc utile pour les salariés comme pour les formateurs, et particulièrement les formateurs occasionnels comme votre serviteur, de comprendre ce qui est à l’oeuvre.
Voici quelques précisions sur le régime juridique actuel — qui sera très bientôt du passé — et futur de la formation professionnelle continue. Et des liens utiles. Pour le régime issu de la réforme de la loi de 2018, je le résume en moins de dix points, droit au but. Comme ça, formé ou formateur, vous saurez concrètement ce qui vous attend.
Pour mémoire, la meilleure source d’information (très largement gratuite) sur le droit de la formation professionnelle est la rubrique Droit du site du Centre INFFO.
La situation actuelle, voire passée (à l’été 2019, on est en pleine situation de transition)
Régime juridique : les textes applicables :
- loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle
- décret d’application n° 2015-790 du 30 juin 2015 relatif à la qualité des actions de la formation professionnelle continue, qui définit les 6 critères qualité que les OPCA doivent prendre en compte, lorsqu’ils financent une action de formation, professionnelle continue, afin de s’assurer de la qualité des formations dispensées.
La réforme de 2014 avait déjà porté un coup au secteur de la formation professionnelle continue puisqu’elle a réduit, globalement, le montant de la contribution des entreprises [2].
Liens utiles / à lire :
- DataDock : les 21 indicateurs et les éléments de preuve associés
- J’ai renseigné le data-dock en moins de 3h00 !, par Marc Dennery, 23 janvier 2017
- pour relativiser DataDock (et en faveur de la certification, qui va devenir obligatoire à partir de 2021) : DataDock et le Référencement des organismes de formation : 2e partie, par ICPF & PS, un organisme de certification des professionnels de la formation.
La réduction de la contribution des entreprises pousse au low cost : le e-learning représente t-il le futur de la formation ?
Le futur très proche
Fin 2019, on sera déjà passé de l’autre côté : la majeure partie de la réforme de 2018 sera entrée en application, tout particulièrement la fameuse application CPF. Quant à la baisse de la valeur de l’heure de formation disponible dans un CPF de 35 à 15 euros, elle est applicable depuis le 1er janvier 2019.
Régime juridique : les textes :
- la nouvelle loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018. Elle entre progressivement en vigueur, jusqu’en 2021 pour certaines dispositions
- principaux décrets d’application :
- décret n° 2019-565 du 6 juin 2019 relatif au référentiel national sur la qualité des actions concourant au développement des compétences
- décret n° 2019-564 du 6 juin 2019 relatif à la qualité des actions de la formation professionnelle
- décret n° 2019-565 du 6 juin 2019 relatif au référentiel national sur la qualité des actions concourant au développement des compétences
- liste exhaustive des textes d’application de la réforme :
- Textes d’application publiés de la loi Avenir professionnel, par Valérie Delabarre, Centre INFFO, 28 juin 2019
- Réforme de la formation professionnelle : la loi, les textes d’application, les documents de référence, C2RP, 26 juin 2019.
Déjà, un point de départ : une action de formation – autre que celle organisée en interne par l’entreprise pour ses propres salariés – doit être dispensée par un organisme de formation disposant d’un numéro d’enregistrement attribué par l’administration et faisant suite au dépôt de la déclaration d’activité prévue par l’article L 6351-1 du Code du travail. Ca, ça ne change pas.
La réforme de 2018 en sept points, extraits principalement des propos de Céline Dumont Bauer (Absoluce), Mathilde Bourdat (Cegos), Yveline Pouillot (GMBA) et Andrew Wickham (Linguaid) :
- la réforme crée France compétences — qui devient l’unique instance de gouvernance nationale de la formation professionnelle —, supprime DataDock et le remplace par une autre liste de critères qualité — des critères de certification cette fois — et rend obligatoire la certification des organismes de formation au 1er janvier 2021 (le COFRAC certifiant, lui, les certificateurs)
- le compte personnel de formation (CPF), qui recense les droits des salariés en matière de formation professionnelle, ne pouvait jusqu’à présent être utilisé pour financer une formation que si celle-ci figurait sur des listes élaborées par branche professionnelle. A compter de 2019, le CPF peut être utilisé pour financer toutes les formations sanctionnées par une certification inscrite au Répertoire national des certifications ou au Répertoire spécifique. Si on n’utilise que son compte CPF pour financer une formation (ce qui n’est pas évident, vu l’énorme dévaluation des heures CPF, cf infra), l’entreprise n’a plus de droit de regard sur le contenu de la formation
- une application CPF gérée par la Caisse des Dépôts (CDC) permettant à chaque individu de piloter seul son parcours formation devrait voir le jour à l’automne 2019
- chaque heure dont disposaient les salariés équivaut désormais à 15 euros (décret n° 2018-1153 du 14 décembre 2018). Au lieu des 24 heures de formation annuelle qui leur étaient réservées, ce sont maintenant 500 euros qui vont être abondés chaque année sur leur CPF, dans la limite de 5 000 euros.
Les salariés y sont perdants (et donc les formateurs aussi). En effet, jusqu’à présent les formations dans le cadre du CPF étaient en moyenne financées à hauteur de 35 euros par heure. Or il y a très peu de formations qui coûtent 15 euros de l’heure. Les droits de formation cumulés sur les CPF perdent ainsi 60% de leur valeur ! - beaucoup d’entreprises également (et donc de formateurs ...) sont perdantes dans cette réforme puisque celles de plus de 50 salariés voient leurs aides presque supprimées. Les entreprises de plus de 50 salariés n’auront en effet plus accès aux fonds des OPCA à partir de janvier 2019. Ceux-ci seront maintenant réservés uniquement aux TPE (moins de 50 salariés)
- en conséquence, les entreprises (voire les salariés eux-mêmes) pourraient davantage être sollicitées pour compléter le CPF de leurs salariés. Et le marché de la formation, qui connaît des prix à la baisse depuis déjà des années, va clairement devenir un marché low cost favorisant le e-learning et les start-ups [3] et défavorisant les formations en présentiel (alors même qu’elles représentent toujours la grande majorité des formations en France ... — voir en conclusion de ce billet)
- les OPCA sont perdants :
- les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) — Actalians par exemple, pour le secteur juridique — deviennent des opérateurs de compétences (OPCO) qui seront regroupés au sein de filières professionnelles plus larges que jusqu’à présent, passant ainsi d’une vingtaine à onze. L’OPCA Actalians, par exemple, est regroupé au sein de l’OPCO Atlas
- l’URSSAF collectera les contributions à la place des OPCA à partir de 2021 et les CPF (et leurs sommes) seront gérés par la Caisse des Dépôts. Selon Andrew Wickham, des interrogations subsistent toutefois sur la capacité réelle de la CDC à gérer les comptes de 30 millions d’actifs ainsi que des micro-paiements fractionnés pour des dizaines de milliers de prestataires, la traçabilité de ces opérations et le manque de contrôle en amont (il n’y aura pas de système de validation des dossiers, comme c’est le cas actuellement avec les OPCA).
Liens utiles / à lire :
- La formation professionnelle : principes généraux, Ministère du travail, 20 mai 2019
- Participation financière des entreprises au développement de la formation professionnelle et de l’apprentissage, Ministère du travail, 20 mai 2019
- Formation professionnelle : de nouvelles règles pour les entreprises, par Anaïs Trebaul, Option finance, 21 janvier 2019
- Réforme de la formation 2019 : concrètement, qu’est ce que ça change pour les entreprises et les salariés ?, par Andrew Wickham, 7speaking, juin 2019
- Tout savoir sur la certification des organismes de formation – Loi Avenir Professionnel, par Morgan Marietti, Proactive Academy., 8 janvier 2019. Très complet mais très "officiel", liste notamment les nouveaux critères qualité du nouveau référentiel national de certification qualité
- les billets de Fabrice Robert (TechLinker) :
- DataDock / Qualité, quelle pérennité du dossier suite à la nouvelle loi 2018 ?, 5 septembre 2018
- Nouveau Référentiel National Qualité Formation porté par France Compétences : ce qui est (sera) nouveau, 26 avril 2019
- De DataDock au nouveau Référentiel national qualité des organismes de formation, 26 avril 2019
- sur le nouveau Référentiel national qualité formation et l’audit de certification, voir Référentiel national sur la qualité des actions concourant au développement des compétences : modalités d’audit, par Valérie Michelet, Centre INFFO, 11 juin 2019.
Ca en fait des changements et des papiers. On se demande si tout cela va bien détecter les compétences réelles des formateurs. Et si le e-learning est vraiment autant l’alpha et l’oméga de la formation [4] ...
Emmanuel Barthe
documentaliste juridique, veilleur, formateur
Notes
[2] Financement de la formation : ce que la réforme va changer pour l’entreprise, par Valérie Grasset-Morel, L’Express.fr, 18 décembre 2013. Article Contribution formation de Wikipedia.
[3] Autrement dit les "tech".
[4] En France, le présentiel reste de loin le mode dominant parmi les formations données. Il semblerait en fait que l’important soit les moyens mis dans la formation, l’adaptation du support numérique aux réalités du e-learning (et non la simple numérisation du support du présentiel) et l’adéquation aux besoins des formés. Mais alors, difficile de faire du e-learning low cost ...
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