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Open Dalloz : de l’open washing à Solr
Libre accès partiel, pas open access ni open data, mais de l’innovation

L’éditeur juridique Dalloz a lancé fin 2016 le site Open Dalloz.

Admirable initiative dans les intentions. Mais qui n’a pas mené (et ne mènera pas) Dalloz très loin, j’en ai peur.

En revanche, elle abrite depuis peu une innovation (innovation pour Dalloz) prometteuse.

Le contenu

Le site Open Dalloz offre un accès aux Codes rouges Dalloz (sans les commentaires/annotations), à 1200 fiches d’orientation (environ 2 pages A4 par fiche) et à la jurisprudence disponible sur les sites payants Dalloz.fr et Dalloz-Avocats.

Ces fiches d’orientation ont été citées dans le Jurisguide, l’annuaire de ressources juridiques tenu à jour par la Bibliothèque Cujas, au titre de la doctrine gratuite. Elles sont plus ou moins comparables aux très riches définitions du Dictionnaire de droit privé, œuvre depuis 1996 du pionnier de l’Internet juridique français Serge Braudo, magistrat à la retraite de la Cour d’appel de Versailles.

Open washing

Pour rappeler les fondamentaux de l’open access : open = pas de barrière. Ni financière, ni juridique, ni technique.

Le site Open Dalloz, malgré son nom, ne maîtrise ni les règles ni l’esprit ni même les codes, je veux dire le style, du libre :

 Il s’agit d’un contenu payant conçu comme tel et mis tel quel en accès partiellement libre et gratuit. Déjà, accès libre ou libre accès, en français, même s’il s’agit là de la traduction littérale (souvent utilisée à tort) de l’expression anglaise "open access", ne veut pas dire open access [1] (la traduction correcte, sans ambiguïté, est "accès ouvert"). Et ça n’est clairement pas la meilleure approche pour se réclamer du libre.

 Pas de licence libre donc pas de possibilité de réutiliser légalement le contenu (ni open data pour les données brutes (jurisprudence) ni open access pour les fiches). C’est en contradiction avec le sens du mot "open". Certes, à strictement parler, l’utilisation ici du mot "open" n’est pas abusive sur un plan juridique puisqu’il n’y a aucune prétention explicite à l’Open access, aucune licence de type Collective Commons (CC) sur le site même. Mais cette utilisation du mot "open" est bel et bien abusive en terme de légitimité. Et sur le Village de la Justice, on trouve un article de toute évidence rédigé par ou pour Dalloz (puisqu’il s’agit d’un article sponsorisé [2] qui prétend que (je cite le titre) « Open Dalloz évolue avec de nouveaux contenus en open access : les fiches d’orientation Dalloz ».

 Il faut choisir un domaine du droit avant de pouvoir consulter une fiche d’orientation. Ces domaines ne "parlent" pas du tout aux non juristes. Cela participe à limiter fortement l’intérêt du site.

 La bibliographie à la fin de chaque fiche d’orientation ne comporte quasiment aucun lien. Et le texte n’est pas concret, il ne parle pas aux non juristes.

 Les commentaires et suggestions ne sont pas publics mais se font par mail. Pas de forum ? Ça n’est pas la meilleure façon d’attirer un grand nombre de remarques et suggestions.

 Le plan « pour accéder à l’intégralité du contenu et à l’impression, connectez-vous » est à éviter aussi : si on doit donner ses données personnelles, ce n’est pas tout à fait gratuit, comme l’actualité récente des réseaux sociaux l’a montré (scandale Facebook / Cambridge Analytica). Et puis les conditions générales parlent d’office de facture ...

 Car il s’agit bien de convaincre de prendre des abonnements, un modèle freemium donc. Mais :

  • le modèle freemium n’a que très peu fonctionné dans l’édition juridique. Net-Iris fait exception mais n’a jamais décollé comme a su le faire, en revanche, l’éditeur payant Lexbase, et a quand même fini par s’adosser à Wengo. Je parle bien de l’édition, pas des applis mobiles ni des sites tournés vers les seuls particuliers où là, oui, ça peut marcher
  • le public n° 1 de Dalloz ce sont les étudiants, les BU et les enseignants. Ils sont déjà convaincus, et souvent déjà abonnés à la plateforme en ligne Dalloz.fr, d’où est extrait le contenu d’Open Dalloz. Ils n’achèteront donc pas plus.

J’estime donc qu’il y a là un manque de compréhension de l’open access et de l’open data. Et que d’un point de vue ergonomique, rédactionnel et moteur de recherche, ce site est malheureusement largement conçu à l’opposé de ce qu’il faudrait faire.

Enfin, je constate en BU que les étudiants connaissent déjà Dalloz.fr (et souvent aussi Dalloz Bibliothèque) et ne dépenseront pas plus du fait de ce site. Quant aux particuliers, pour les raisons supra et parce que Dalloz n’a presque rien dans son offre qui soit pensé pour eux et que de toute façon ce marché a très fortement reculé avec la crise (cf entre les lignes, dans le point annuel sur le marché de l’édition juridique publié en septembre 2013 par Livres Hebdo), Open Dalloz ne devrait pas créer d’appel d’air là non plus.

De surcroît, le site Open Dalloz, qui est gratuit, est exploité par Doctrine.fr, un site pourtant payant. Doctrine.fr "crawle" et indexe en détail tout Open Dalloz (et d’autres sites et blogs). Dommage à cet égard que Dalloz n’ait pas adopté une licence open.

En somme, Open Dalloz donne l’impression de n’être qu’un coup de pub et non une conversion ou une conviction profonde de l’éditeur. C’est la limite de l’exercice. Et j’ai bien peur — à mon grand regret vu le manque d’intérêt des Français pour le droit — que cette occasion ratée n’ait provoqué rien de plus que ça : un peu de pub.

Innovation technologique chez Dalloz

Mais avez-vous remarqué sur la page d’accueil d’Open Dalloz ? En haut, il y a écrit « Accédez librement à des millions d’arrêts de jurisprudence ». Et si vous voulez taper des critères de recherche, vous êtes automatiquement transféré sur une autre page web (comme pour les autres moteurs du site Open Dalloz, Codes et Doctrine), Dalloz Jurisprudence.

Les résultats de Dalloz Jurisprudence s’affichent quasi-instantanément, c’est la recherche en temps réel — que la startup Doctrine.fr fut le premier, début 2016, à mettre en service dans le milieu des bases de données juridiques. Et, comme chez Doctrine.fr on utilise Elasticsearch, lui-même bâti sur la base de la bibliothèque de recherche Apache Lucene, Dalloz Jurisprudence utilise un moteur de recherche open source lui aussi basé sur Lucene : Solr [3].

Seuls les arrêts de Cour de cassation et Conseil d’Etat y sont en accès libre. Mais les extraits semblent montrer une bonne pertinence, si j’en juge par ma requête test fétiche "télévision abus de position dominante". Mais avec une marge de progression. Ainsi, si j’ajoute le mot "programmes" à ma requête, les premiers résultats ne changent pas et ne concernent pas les programmes de télévision.

Ce qui manque au contenu ? Les décisions des autorités administratives indépendantes (AAI), comme l’AMF ou l’Autorité de la concurrence (ADLC).

Dalloz Jurisprudence, lui, donne clairement l’air d’être une expérience pour voir si Dalloz peut faire aussi bien technologiquement que Doctrine.fr et Lextenso, qui vient lui aussi de passer son moteur en recherche instantanée.

Quelque chose de déjà vu ailleurs, mais différent et innovant pour Dalloz. Ça, c’est intéressant. Ça, ça mérite d’être continué.

Emmanuel Barthe
documentaliste juridique, évaluateur de sites juridiques

Notes

[1Oui, je sais, c’est "confusionnant" au possible. Mais ce n’est pas ma faute. Le cœur de l’open access n’est *pas* la gratuité mais la liberté *totale*, sans la moindre contrepartie, d’accès. La liberté et la gratuité de réutiliser, c’est encore différent et ce sont les licences libres (voir https://scinfolex.com/2013/11/04/un-open-access-sans-licence-libre-a-t-il-un-sens/ sur la distinction entre open access et licences libres).

[2C’est marqué noir sur blanc sur l’article. On peut aussi citer cet autre article sponsorisé. Disons que ce genre de billet plus sobre aurait été plus recommandé.

[3Et non Elasticsearch comme écrit par méprise précédemment.