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Peu de thèses en ligne, très peu publiées chez les éditeurs, et les meilleures sont très difficiles à faire reproduire

Libérer la diffusion des thèses en droit
Le travail méritoire de l’ANRT et de l’ABES sur theses.fr est une aide réelle mais ne change pas grand’ chose au problème

[attention ! : cet article date de 2005 et décrit une situation qui a beaucoup évolué depuis fin 2015. Voir notre autre article : Où trouver des thèses en droit disponibles sur Internet.
Voir aussi la partie consacrée à l’ANRT dans la synthèse de Jean Stouff sur la recherche de thèses, tous domaines confondus (Thèses françaises 2. Autres ressources > Bibliothèques universitaires > Thèses sur microfiches). J. Stouff y explique que « la reproduction sur microfiche a cessé en 2016, date à laquelle la thèse sur format électronique a été rendu obligatoire pour toutes les universités ».]

Les thèses : une mine d’or sous-évaluée

Les thèses, en droit, sont des mines d’information ultra-spécialisées. Elles peuvent certes être trop théoriques pour les professionnels du droit, ou de qualité inégale. L’autre reproche qui leur est souvent fait par les praticiens est de ne pas être à jour. En effet, ce ne sont pas des traités mis à jour tous les 2-3 ans, cas après tout assez rare chez les livres de droit. Le plus gênant, à mes yeux, serait plutôt que lorsqu’elle paraît en version imprimée chez un éditeur — la thèse est donc considérée de qualité —, c’est un à deux ans après sa soutenance ...

Mais elles sont parfois l’*unique ressource* sur un point de droit difficile [1]. Même si elles ne sont pas seules à traiter certains points à la mode, elles le traitent plus en détail et offrent une bibliographie sans équivalent qui fait gagner beaucoup de temps dans la recherche.

Les thèses primées sont le plus souvent publiées, à la LGDJ (collections Bibliothèque de droit privé, Bibliothèque de droit public, etc.), Litec (LexisNexis) ou, moins souvent, chez Dalloz ou Economica [2]. Avec le temps et la carrière de leurs auteurs, certaines acquièrent un quasi-statut de traité de référence.

Le catalogue collectif universitaire SUDOC permet de les retrouver et de voir si sur un point une thèse a été soutenue et où. Le Fichier central des thèses (FCT, Université Paris X Nanterre) permet, lui, de chercher les thèses en cours, sans pour autant avoir de fonction de veille. Mais pour les consulter, surtout hors bibliothèque, ou les acheter, les choses se corsent. Car très peu sont publiées, et même celles publiées ne deviennent, le plus souvent, célèbres voire incontournables qu’après épuisement du tirage.

Les Universités devraient publier plus de thèses

On trouve souvent des thèses lorsqu’on interroge le SUDOC. Mais dans 99% des cas, elles ne sont ni disponibles en téléchargement sur Internet, ni publiées par l’Atelier national de reproduction des thèses (voir infra) ni publiées chez un éditeur.

D’après le rapport rendu en 2004 par la société Six et Dix au ministère de l’Education nationale (Sous-direction des bibliothèques et de la documentation) :
« La mise en œuvre du dispositif national de diffusion des thèses par voie électronique, initié [sic] fin 2001 peut être caractérisé par quelques éléments clés qui expliquent l’impossibilité de le maintenir en l’état : Deux chiffres d’abord illustrent ce problème :
Environ 360 thèses seulement, issues de ce dispositif, sont aujourd’hui diffusées par voie électronique, et ceci bien qu’une quinzaine d’établissements se soient aujourd’hui engagées dans cette voie. L’Université Lyon 2 représente à elle seule 75% de cette diffusion » (p. 4) [3].

Certes, des étudiants postent leur thèse sur leur site web personnel ou un site collectif, et certains sont sélectionnés pour être publiés sur le site de leur formation universitaire [4]. Mais il s’agit là d’une *infime minorité*. Et les formations universitaires exigent souvent une note de 13 ou 14/20 minimum pour publier une thèse. [5]
[Mise à jour au 20 janvier 2007 : la diffusion des thèses sur le web par les institutions a tout de même un peu progressé : voir la masse de thèses sur Cyberthèses (Université Lyon II) : 889 thèses de 200 à 2006, toutes matières confondues, dont 18 en droit.]

Pourtant, bien d’autres thèses peuvent avoir de l’intérêt, comme nous l’avons expliqué supra. Et les juristes professionnels sont parfaitement capables de dire si une publication est pertinente et de qualité pour leur dossier. In fine, rien n’empêcherait vraiment, à côté des sélections existantes, de publier en numérique sur le Web (gratuit ou payant) toute la production d’une Université.

Certes, faire produire les étudiants selon un format numérique unifié, facile à traiter, est difficile et peut nécessiter plusieurs modèles selon les matières. Problème de logiciels installés sur l’odinateur de l’étudiant, de table des matières n’utilisant pas le plan ou les styles Word, de collecte des fichiers, etc. Des chaînes de traitement numériques cohérentes et systématiques sont, le plus souvent, encore à installer. Mais imposer aux étudiants en thèse des normes de production — dont ils bénéficieront — ne devrait pas être une tâche insurmontable. Il est notamment parfaitement possible de leur demander de rédiger sous un logiciel de traitement de texte libre comme celui d’OpenOffice.org et de les former à cela en une heure : notes de bas de page, plan, renvois, styles. Certaines formations le font déjà. Pour une vue d’ensemble, voir :

  • Numérisation des thèses de doctorat par Jean-Charles Houpier (SCD UHP Nancy I), une liste (tenue à jour) de ressources et projets en matière de thèses électroniques (notamment les plateformes de dépôt et de diffusion des thèses)
  • très instructive et pratique, la synthèse de Marie-Claude Deboin [6], présente le dispositif de diffusion en France des thèses par voie électronique aménagé en 2005 par le Ministère. Elle décrit les différentes étapes qui précèdent et accompagnent la soutenance d’une thèse et présente les principales chaînes de traitement et les principaux répertoires français ou francophones de thèses électroniques
  • [mise à jour au 19 janvier 2010 : depuis fin 2007, existe le système STAR (Signalement des thèses électroniques, archivage et recherche) utile à tous les établissements universitaires ayant choisi, aux termes de l’arrêté du 7 août 2006 relatif aux thèses [7], l’abandon du dépôt papier au profit du dépôt de la thèse électronique. STAR est très peu utilisé (à peine plus de 1200 dépôts cumulés au total depuis juin 2008) mais monte doucement en régime depuis l’année 2009.]

Il semble, pour l’heure, que le ministère de l’Education nationale, confronté au manque de moyens et aux choix individuels et divergents des Universités, ait renoncé à leur imposer une démarche unifiée et contraignante. Pour l’instant, les rapports et circulaires du ministère sont très prudents et cherchent essentiellement à « [obliger] au dépôt électronique de la thèse avec ses métadonnées » et à unifier les formats sur XML et PDF. Le ministère se limite donc à recommander, inciter ou suggérer [8].

C’est ainsi que l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (ABES, responsable des catalogue et portail SUDOC) appuie la rédaction d’une norme AFNOR de création de thèses numériques. Une première version — la "recommandation TEF" (Thèses Electroniques Françaises) --- est disponible depuis mai 2005 [9].

Dès lors, il serait extrêmement utile à la communauté des juristes de publier la plupart des thèses et de laisser les lecteurs faire le travail de sélection. Ils en sont largement capables.

L’Atelier national de reproduction des thèses : intérêt ...

J’écrivais plus haut que la plupart des thèses ne sont pas disponibles à l’Atelier national de reproduction des thèses (ANRT). L’ANRT devrait être une chance pour les juristes. Mais son catalogue ne remplira hélas pleinement sa mission que dans 10 ans au moins ...

Selon la page sur l’ANRT du site de l’Université Lille III :
« L’Atelier National de Reproduction des Thèses a été créé à Lille en 1971. La convention du 14 octobre 1985 entre la Direction de l’Enseignement supérieur du ministère de l’Education nationale et l’Université Lille III dont il est un service commun, a défini explicitement ses missions :

  • la reproduction des thèses en lettres, sciences humaines, juridiques, politiques et sociales sur support micrographique et la diffusion institutionnelle devant les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. Le décret de 2001 élargit cette mission à la diffusion électronique des thèses soutenues dans les universités régionales
  • la reproduction et la diffusion commerciale des thèses sur support papier avec l’autorisation de l’auteur proposée par le service "Thèse à la carte" depuis 1996 ou à la demande d’éditeurs
  • la réédition d’ouvrages anciens appartenant au domaine public. »

L’Atelier reproduit donc — service payant — les thèses d’Etat en lettres, sciences humaines, arts et droit (droit pénal, droit privé, droit public) soutenues dans les universités françaises depuis 1971 :

  • en offset de 1971 à 1984
  • sous forme de microfiches de 1983 — et surtout de 1985 — à 1996. Diffusées, sous la même forme, aux bibliothèques publiques et universitaires qui peuvent les commander au format papier
  • depuis septembre 1996, les ouvrages reproduits sont numérisés et donc "ré-imprimables".

Son site donne accès à son catalogue :

Attention : « le plus souvent, explique Jean Stouff, ces thèses sur microfiches n’apparaissent pas au catalogue de votre BU, mais elles sont normalement disponibles. Il vous faut d’abord consulter le catalogue SUDOC pour repérer le nom de l’auteur, le lieu et la date de soutenance, puis communiquer ces références au personnel de votre BU qui vous communiquera la microfiche à lire sur un lecteur mis à votre disposition. »

Pour plus de détails sur les produits et catalogues de l’ANRT, voir la page Présentation de l’ANRT sur le propre site de celui-ci.

L’Atelier national de reproduction des thèses : ... et limites

Oui, mais ... Mais, pour respecter le droit d’auteur et suivant les directives données par le ministère, l’ANRT ne reproduit que les seules thèses postérieures à septembre 1996, date à partir de laquelle il est systématiquement demandé aux auteurs une autorisation de reproduction. Et comme, au bout de six mois, un thésard a changé de coordonnées, on n’est pas remonté dans le temps.

C’est bien dommage, car les thèses qui font autorité sont celles des thésards devenus enseignants, comme le professeur Sirinelli (thèse Paris II 1985). Ces thèses-là, évidemment, datent souvent d’avant septembre 1996. Dès lors, deux cas :

  • soit la thèse convoitée est disponible pour le prêt entre bibliothèques (PEB) (nombre d’exemplaires suffisant ou thèse peu demandée)
  • soit la thèse n’est pas disponible pour le PEB et il faut alors se rendre dans une bibliothèque municipale ou universitaire, leur demander de commander une reproduction sur microfiche à l’ANRT, attendre la réception par la bibliothèque, puis que la bibliothèque en fasse une version imprimée, et enfin emprunter la thèse reproduite.

Délais ? 7-8 jours dans le premier cas et dans l’autre deux semaines, délai minimum incompressible — et normal vu la procédure. Autant dire hors délai dans les deux cas pour un professionnel.

Serait-il possible pour l’ANRT, au moins pour les auteurs connus (avocats, enseignants) de les contacter pour leur demander cette autorisation ? Retrouver leurs coordonnées et les contacter par un mailing pourrait être une tâche ponctuelle, pas trop difficile et extrêmement utile pour la communauté juridique et documentaire. Ou bien faudra t-il attendre dix ans ou plus, le temps que les récents thésards — dont la majorité, on peut l’espérer, auront signé une autorisation de reproduction [mise à jour au 29 janvier 2009 : pour l’instant, hélas, il n’est pas réaliste d’espérer cela] — deviennent professeurs ?

Une meilleure diffusion des thèses est entre les mains des Universités, de l’ANRT et de leur autorité de tutelle, le ministère de l’Education nationale. Elle bénéficierait à tous : lecteurs, juristes, chercheurs, et d’abord aux auteurs eux-mêmes, à l’orée de leur carrière. Organiser et développer un circuit de la thèse électronique est une des réponses. [mise à jour au 29 décembre 2012 : La mise en place de ce circuit est en cours. Par exemple, Paris XI a rendu obligatoire le dépôt électronique de la thèse à partir du 1er janvier 2011. Une réponse, hélas très partielle pour les raisons données dans la mise à jour de ce billet (voir supra).]

Les thésards sont des auteurs, des auteurs qui ont besoin d’être connus. Et le plus cher désir d’un auteur universitaire n’est il pas d’être lu ? Dans une société de l’information, cela devrait être le cas ... En tout cas, en mathématiques et informatique, (pratiquement) toutes les thèses sont obligatoirement publiées sur HAL-TEL.

Emmanuel Barthe
documentaliste juridique

Mise à jour au 19 janvier 2010 : la situation décrite supra n’a guère changé. Commentaires d’Isabelle et Franck (liste Juriconnexion) :

« En droit, cela avance à petits pas, mais des programmes se mettent en place ... Reste que qu’un certain nombre de thèses ne seront pas mises en ligne à disposition de tous, quand bien même elles auraient été réalisées sous format électronique. Le doctorant peut s’opposer à une parution de ce type, par exemple s’il a des assurances de voir sa thèse publiée sous format papier par un grand éditeur. Dans ce cas, on revient à la situation actuelle, avec une diffusion de la thèse dans la bibliothèque rattachée à l’université de soutenance.

Les [principaux] obstacles [à une mise en ligne des thèses] :

  • hostilité des enseignants à l’égard d’une procédure inspirée des sciences dures
  • attentisme des auteurs soucieux d’une publication commerciale [Pourtant, seul un très faible pourcentage des thèses en droit est publié par les éditeurs. Et, dans 99% des cas, leurs ventes ne dépasse pas quelques centaines d’exemplaires]
  • crainte du plagiat
  • longs délais de mise en place des procédures internes à l’Université
  • ampleur des formations à mettre en place
  • durée du cycle de conception d’une thèse (3 ans). »

Mise à jour au 29 décembre 2012 :

  • le lancement en 2011 du site theses.fr, qui ne stocke pas mais recense les thèses soutenues, facilitant ainsi grandement leur repérage, n’a pas fondamentalement changé la situation. Ce billet rédigé en juin 2005 reste donc d’actualité
  • voir aussi la discussion sur la liste Juriconnexion entre Jean, Stéphane et nous-même.]

Mise à jour au 7 avril 2015 : le verrou fondamental [10] demeure : les meilleures thèses sont un instrument d’échange dans la carrière universitaire et ne sont donc pas publiées gratuitement en ligne. Ce qui n’empêche pas des exceptions, notamment celle des thèses des étudiants étrangers faisant leurs études de droit en France — et n’ayant donc pas d’ambition universitaire en France.

Notes

[1Cf la thèse de Denis Mazeaud sur la clause pénale (publiée en 1992 à la LGDJ), abondamment citée par le fascicule du JurisClasseur Civil traitant du même sujet.

[2Le site web d’Economica est en construction et quasiment vide depuis trop longtemps. C’est regrettable car sa production en droit, bien que peu nombreuse, est de qualité.

[3Etude de la mise en oeuvre du dispositif national de diffusion des thèses par voie électronique dans les Etablissements d’enseignement supérieur et de recherche, Six et Dix, 2004 (format Word). Ce rapport est également très intéressant pour sa description des circuits de workflow local et national pour l’édition et la diffusion de thèses produites respectivement sous Word et LaTeX.

[5Les Universités canadiennes ont une position plus large, illustrée par le Portail Thèses Canada. Exiger 14/20 pour publier un mémoire se comprend mieux, en revanche, de la part des formations universitaires. Ce qui n’empêche pas certains étudiants de publier leur mémoire sur Internet avec ou sans bonne note.

[6Publier et diffuser sa thèse électronique sur Internet : conseils aux doctorants accueillis par le Cirad / Marie-Claude Deboin, responsable de la documentation du CIRAD, 6 janvier 2006.

[7Arrêté du 7 août 2006 relatif aux modalités de dépôt, de signalement, de reproduction, de diffusion et de conservation des thèses ou des travaux présentés en soutenance en vue du doctorat (JORF n° 195 du 24 août 2006 p. 12471 texte n° 24).

[8Voir à cet égard la circulaire n° 05-094 du 29 mars 2005 (format RTF) de la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation intitulée "Dépôt, signalement, diffusion et archivage des thèses sous forme électronique" (résumée sur le portail des BU) et le rapport Six et Dix précité dont elle résume les conclusions. A titre d’exemple de cette prudence, voici un extrait de la circulaire : « Le dispositif à mettre en place doit introduire de la cohérence dans la diffusion électronique des thèses tout en étant compatible avec la grande masse et la diversité des documents à traiter. Pour ce faire, il doit répondre aux critères suivants : 1. Etre souple et respectueux de l’autonomie des établissements [...]. »

[9Extrait du message publié le 3 juin 2005 par Yann Nicolas, de l’ABES, sur la liste biblio-fr : « Le groupe AFNOR CG46/CN357/GE5 de l’AFNOR annonce la publication de la recommandation sur les métadonnées des thèses électroniques. Cette recommandation AFNOR nommée TEF (Thèses Electroniques Françaises) définit un jeu de métadonnées pour les thèses électroniques françaises. A terme, elle comprendra des métadonnées descriptives et des métadonnées de gestion (circuit administratif, archivage, droits). Il s’agira d’une pièce essentielle dans le dispositif national de promotion des thèses électroniques mais aussi dans la perspective de leur valorisation internationale. Cette première édition de la recommandation TEF (TEF 1.0) ne couvre que les métadonnées descriptives. Dans sa première version (TEF 1.0), la recommandation TEF se compose d’un document rédigé qui présente les principes de TEF et chacun des éléments de métadonnées et d’un schéma XML qui sert à la fois de format d’échange et d’outil de validation. »
Lire aussi l’impertinent billet de Thierry Samain Métadonnées haute couture : la collection automne/hiver — et les commentaires — sur le blog collectif biblioacid.org.

[10Et bien peu évoqué publiquement, même si c’est un secret de polichinelle chez les doctorants et les docteurs en droit.