Les documents des Nations Unies : ouverture ou fermeture ?
Le Système électronique de documentation de l’ONU devient gratuit, la base des traités reste payante
[mise à jour au 15 mars 2009 : la base des traités des Nations Unies est passée en accès libre. C’est heureux]
Alors que la diffusion libre du droit progresse [1], que de nombreux Etats mettent en ligne gratuitement leurs textes officiels et que l’ONU ouvre un accès gratuit à son Système électronique de documentation jusque là payant, la version en ligne de la Collection des Traités des Nations Unies demeure, elle, payante.
Des traités payants
Tarifs pour l’accès à l’"United Nations Treaty Collection Online" (UNTC Online) :
- accès gratuit pour les fonctionnaires de l’ONU et des Etats
- établissements commerciaux et autres entreprises à but lucratif : 120 dollars américains (USD) par mois ou 1200 USD par an (entrent dans cette catégorie les sociétés, cabinets d’avocat, avocats et consultants à leur compte)
- établissements à but non lucratif : 60 USD par mois ou 575 USD par an (entrent dans cette catégorie les universités et particuliers travaillant sans but lucratif).
1200 USD par an pour les organismes privés me semble un prix assez élevé si on prend en compte que :
- les documents dans le Recueil sont uniquement au format TIFF image, sans version PDF texte ni Word ou RTF (non réutilisable, donc)
- c’est plus cher que la plupart des abonnements à des recueils de droit français
- le Recueil des traités communautaires est en ligne, gratuit et traduit dans *toutes* les langues alors que le Recueil des traités de l’ONU n’existe qu’en anglais et français !
- restreindre la diffusion des traités ne favorise pas les buts des Nations Unies tels qu’affichés dans leur Charte http://www.un.org/french/aboutun/charte.
Des justifications en partie dépassées, mais un clair besoin de financement
La page "Comment s’inscrire" de la Collection des Traités des Nations Unies donne les justifications apportées par l’ONU pour faire payer la base des traités. Voici ce qui y est écrit :
« Dans la résolution A/RES/51/158 du 16 décembre 1996, l’Assemblée générale a approuvé la proposition tendant à ce que la Collection des Traités soit placée sur l’Internet, et a recommandé que le Secrétaire général étudie la possibilité d’amortir les frais qu’entraînerait cette innovation.
Dans sa note à l’Assemblée A/RES/52/363 du 26 septembre 1997, le Secrétaire général a indiqué que :
a) les services de consultation en ligne de l’état des Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général et du Recueil des Traités occasionnaient des dépenses considérables et que leur fonctionnement, leur mise à jour et leur perfectionnement entraîneraient des coûts supplémentaires ;
b) les recettes provenant des ventes de publications imprimées ne suffiraient pas à couvrir ces coûts, d’autant plus qu’elles augmenteraient lorsque les publications seraient accessibles en ligne ;
c) il conviendrait par conséquent de percevoir un droit d’utilisation couvrant au moins le coût du fonctionnement et de l’amélioration du service.
Dans les résolutions A/RES/52/153 et A/RES/53/100, l’Assemblée a encouragé "le Secrétaire général à poursuivre la politique de diffusion sur l’Internet du Recueil des Traités et de l’état des Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, en gardant tout particulièrement à l’esprit les besoins des pays en développement pour ce qui est d’en amortir le coût". »
L’ouverture gratuite en janvier 2005 du Système de diffusion électronique des documents de l’ONU (Sédoc) [2] [3] montre bien que les coûts évoqués supra (hébergement, trafic, soft/hardware, salaires d’informaticiens ? ce n’est pas clair) ne sont pas ou plus les véritables raisons qui expliquent pourquoi le Recueil des traités reste payant. A mon avis, il n’y a plus en réalité que deux justifications, ou plutôt deux raisons, que l’ONU puisse avancer :
- améliorer les finances de l’ONU avec la vente des documents les plus demandés et les plus nécessaires parmi toutes les publications de l’ONU. Une continuation de la politique papier, en somme, peut-être un peu plus cher que le papier. Alors que les coûts de fabrication et de gestion (stockage, transport, vente) du papier sont plus élevés que ceux du numérique ...
- faire payer les utilisateurs pour le retard de mise à jour accumulé, autrefois "payé" par les achats et abonnements papier. Cf le point 12 de la résolution A/RES/53/100 du 20 janvier 1999 : « Prie le Secrétaire général de prêter toute l’assistance, y compris les services de traduction, qu’exige la mise en œuvre du plan ayant pour objet de résorber au cours du prochain exercice biennal l’arriéré accumulé dans la publication du Recueil des Traités des Nations Unies ; » Cela me semble plus légitime. Encore que l’article 102 de la Charte des Nations Unies stipule que « 1. Tout traité ou accord international conclu par un Membre des Nations Unies après l’entrée en vigueur de la présente Charte sera, le plus tôt possible [c’est moi qui souligne], enregistré au Secretariat et publié par lui » [4].
Diffusion libre du droit ?
En tout état de cause, l’ouverture du Sédoc n’est qu’un pas, une ouverture partielle. Ca me rappelle Legifrance I, doté du seul JO avec un an de recul. Alors qu’au moins la moitié des utilisateurs voulaient d’abord la Cour de cassation ...
Là ou le bât blesse le plus, c’est si on se place du point de vue de la diffusion libre du droit — qui n’était toutefois pas ici, apparemment, le but de l’ONU. En fait, l’ouverture du Sédoc permet surtout à l’ONU de faire des économies dans la diffusion de ses documents courants tout en augmentant leur visibilité et leur diffusion. Cette décision s’inscrit dans le droit fil d’autres mesures d’économies, notamment la restructuration du Département de l’Information des Nations Unies, avec notamment la fermeture en décembre 2003 des 9 centres d’information d’Europe occidentale de l’ONU, regroupés en un seul centre régional à Bruxelles, et l’utilisation des NTIC, autrement dit Internet (communiqué de presse) (la fermeture plus récente du centre de documentation et d’information européen Sources d’Europe [5] s’inscrit dans une même logique).
Mais la partie la plus importante du droit international public "onusien", les traités, reste payante. Ce n’est pas en accord avec les idées maîtresses de la diffusion libre du droit, telles que fixées par les déclarations de de Paris en 2004 et de Montréal en 2002 : « L’information juridique publique des pays et des institutions internationales constitue un héritage commun de l’humanité. La réalisation de l’accessibilité maximale à cette information favorise la justice et la primauté du droit ; L’information juridique publique fait partie du bien commun numérique et doit être accessible à tous sur une base non lucrative, sinon de façon gratuite » .
In fine, cela ne me semble pas favoriser certains des buts des Nations Unies, tels qu’énoncés dans la Charte des Nations Unies, principalement :
- « créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international » (préambule)
- « réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix » (art. 1, par.1)
- le développement du respect et de la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 1, par. 3).
D’où une question : ne pourrait-on étendre à la Collection des traités la logique qui a conduit l’ONU à ouvrir le Sédoc ?
Emmanuel Barthe
documentaliste juridique
Notes
[1] Sur l’état de la diffusion libre du droit, lire notamment les communications données au 6e colloque Internet pour le droit, 3-5 novembre 2004, Paris.
[2] Voir le message d’Yves Meline du 3 janvier 2005 sur la liste Juriconnexion. Le communiqué de presse original (en anglais) du 23 décembre 2004 est ici.
[3] Un assez bon guide de recherche des documents de l’ONU disponibles sur Internet est celui de la Bibliothèque générale et de sciences humaines (BGSH) de l’Université Catholique de Louvain (UCL) (page tenue par Jean Germain et Delphine Meurs). Des tutoriels pour se former à l’utilisation des bases de données de l’ONU, parmi les quelles le Sédoc, sont également disponibles.
[4] D’autant que le paragraphe 2 de l’article 102 stipule : « Aucune partie à un traité ou accord international qui n’aura pas été enregistré conformément aux dispositions du paragraphe 1 du présent Article ne pourra invoquer ledit traité ou accord devant un organe de l’Organisation. ». Voir aussi le Règlement destiné à mettre en application l’article 102 de la Charte des Nations Unies.
[5] Lire mon article Menace sur les centres d’information européens pour le grand public.
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