Legal design : faire comprendre le droit français avec du graphisme et un langage clair et se mettre à la place du client
Amurabi, Callios, LexClair, Billy Agency, Juridy, Juste Cause, Legal by Design, Lexbase ...
[NB : cet article a été initialement publié en juin 2015. Il a été augmenté et mis à jour depuis.]
Ça bourgeonnait en 2009 et on en parlait ici [1]. En 2014, le legal design était lancé. Le droit est maintenant expliqué en dessins et graphiques. Et cela va jusqu’au film. Pour plus de détails sur la genèse américaine du legal design, voir ce post de Jarvis Legal.
Après, soyons honnête : le véritable legal design, surtout depuis 2018, va au-delà d’une simple représentation graphique du droit. Il s’appuie sur les travaux des cogniticiens : pour faire court, la psychologie du cerveau. Notamment — mais pas seulement — le fait scientifiquement reconnu que l’information véhiculée par l’image marque plus et se retient plus. Le "LD", c’est aussi et peut-être d’abord utiliser un langage juridique clair [2].
Pour reprendre les mots de Dany Gilbert, directeur juridique au département de la Vendée, « la philosophie profonde du legal design est d’abord de mettre l’utilisateur du contenu juridique au centre de la préoccupation du juriste. De cette idée découle tout le reste, la représentation graphique notamment mais pas que. Le legal design devrait se déployer aussi dans la rédaction d’une simple note juridique ou même d’un simple mail ». A cet égard, écoutez le Legal Design en mode Macro, un podcast des Éditions Dalloz, 7 décembre 2020.
Quelques exemples depuis 2015
Un exemple "mainstream" sur le site de l’URSSAF (très lu par les employeurs) : un schéma analysant les bons d’achat et cadeaux en nature au regard des cotisations de sécurité sociale, de la CSG et de la CRDS.
Autre exemple avec ce communiqué de l’éditeur juridique Lexbase du 2 avril 2015 : extrait :
« Les éditions Lexbase proposent une nouvelle approche éditoriale du droit et publieront, régulièrement, à compter de ce jour, des infographies juridiques permettant de faire la synthèse d’un régime ou d’une procédure de manière pédagogique et graphique. »
Un concurrent de Lexbase, Luxia, utilisait trois couleurs pour signaler les modifications dans les textes officiels sur son site Alinéa [3] : rouge pour abrogé, vert pour créé et bleu pour modifié.
Pour des exemples plus récents, regardez ceux proposés par le cabinet Lexclair ou par welovelegaldesign.
Des étudiants d’Assas, réunis dans une association Assas Legal Design, se sont essayé au legal design en sortant entre 2016 et 2019 des numéros d’un journal, L’Illustrassas, illustré de nombreux schémas et dessins.
Côté vidéo, le cabinet d’avocats Véron conçut et produisit un film sur la saisie-contrefaçon [4], pour promouvoir la sortie en juin 2015 chez Dalloz de son ouvrage trilingue sur le sujet.
Les grands acteurs, des origines à aujourd’hui
D’autres étaient encore plus en avance : voici les grands acteurs d’une représentation claire du droit par l’image et le langage.
En France :
- Olivia Zarcate (Imagidroit), juriste de formation, a créé Imagidroit en 2012 pour faciliter l’accès au droit grâce à la pensée visuelle. Elle dessinait et créait des outils visuels à partir de problématiques juridiques pour transmettre, former, communiquer. Elle tenait également une veille sur le domaine du "legal Information design" qui regroupe des outils et initiatives pour diffuser et présenter le droit autrement. Olivia est à l’initiative du premier réseau international sur le legal information design, le LID network (LIDN) qui a vu le jour en 2014. Lire sa passionnante interview par Vizthink.
Fin 2017, Olivia Zarcate a changé d’activité.
- Miroslav Kurdov (SketchLex), ancien juriste en propriété industrielle, a créé SketchLex en 2011. Il réalise des icônes et des infographies juridiques. Son compte Twitter et son blog font une veille intéressante sur les infographies juridiques. Voir son interview par Carole Guelfucci.
En avril 2019, Miroslav a rejoint l’IPIL (Institut de la Propriété Intellectuelle Luxembourg) pour une mission mixte de juriste et de legal designer, puis en 2020 le cabinet luxembourgeois Arendt & Medernach comme legal designer pur
- les deux créateurs du legal design en France ont donc quitté le secteur pour Olivia et quitté la France pour Miroslav mais de nouveaux entrants sont arrivés en force :
- Lexclair, donc : Sophie Lapisardi, avocate en droit public, et Fabrice Mauléon, expert en legal design (2016)
- RH Visuels : Romain Hazebroucq
- welovelegaldesign : Caroline Laverdet, avocate
- Marie Potel-Saville, ex-directeur juridique EMEA d’Estée Lauder, a ouvert au printemps 2018 le bureau parisien de l’agence de legal design « Dot. » (voir infra). Elle a très vite fondé son propre cabinet de legal design, Amurabi
- Billy Agency : Astrid Boyer
- Stéphanie Marais-Batardière, avocate au Barreau d’Angers, fait à la fois du droit et du legal design au sein de son cabinet Callios
- Juridy : quatre personnes, dont un UX designer et un graphiste (2019)
- Legal by Design : Marie-Agnès Fages travaille en partenariat avec deux autres indépendants pour la partie UX et graphisme (2019)
- Juste Cause (2015)
- on peut citer aussi ClearCase (Élodie Teissèdre) et imagine.legal (six personnes dont deux designers), mais au vu de leur offre, ces deux structures font autant si ce n’est plus de la communication, du graphisme ou du web design que du legal design pur.
- les regroupements de professionnels :
- les réunions du ThinkLeD, le forum de legal design d’Open Law. L’Ecole nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) (rue Sabin à Paris) les accompagne
- une association de praticiens francophones du LD Lab Legal s’est créée le 16 septembre 2020 avec 30 participants venus de France, Belgique et Canada. C’est le Lab Legal qui va porter le Village du Legal Design aux prochaines "Transformations du droit"
- un projet lancé en 2011 [5] : celui de la Fabrique de la Loi. Réalisée par Regards Citoyens conjointement avec deux laboratoires de Sciences Po : le médialabet le Centre d’études européennes (CEE), et les designers italiens de Density Design, La Fabrique de la Loi a été rendue publique en mai 2014 [6]
- du côté de l’édition juridique française, on en est encore aux balbutiements :
- certains auteurs de manuels de droit. Comme Hervé Croze avec les schémas de procédure civile (certes noir et blanc et graphiquement très sobres) de son Guide pratique de procédure civile (4e éd., 2012, LexisNexis)
- au moins un éditeur français. Ellipses, éditeur d’ouvrages de synthèse et de révision pour les étudiants, a développé deux collections "graphiques" d’ouvrages de droit : Le droit en schémas et Le droit en fiches et en tableaux. Le concept a souvent du succès auprès des étudiants — moins auprès des enseignants, qui n’apprécient pas toujours le choix des auteurs par l’éditeur ou le concept même d’ouvrage de révision, avec ses limites intrinsèques.
Pour autant, le legal design semble avoir du mal à décoller en France pour l’instant. Les deux pionniers en sont partis, même si Miroslav Kurdov a tenu quand même six ans en indépendant. Son dernier billet sur Sketchlex date de 2018 et il a pour titre 12 raisons de ne pas utiliser des infographies juridiques, qui montre que le marché français n’était pas mûr à cette date en tout cas — sans parler de son étroitesse.
Un autre signe que le legal design en France a toujours du mal à s’implanter réside dans l’importance de l’activité des cabinets en formation au legal design : s’ils vendent de la formation et insistent autant dessus, c’est que selon toute évidence, ils ne peuvent pas encore vivre de leurs seules prestations de conseil et de design, et donc que le legal design est un marché encore largement à créer en France. Le nombre de designers proprement dit dans les équipes des cabinets est également un indice.
Une autre façon de voir les choses, comme me le fait valoir Dany Gilbert, c’est que « le legal design n’est pas tant une prestation qu’on externalise qu’une démarche qu’on déploie en interne, le cas échéant avec quelques appuis ». Il ajoute que le manque d’exemples concrets de "LD" peut s’expliquer par la « difficulté à partager un document réalisé dans un contexte donné, ce document pouvant être moins percutant, moins compris, hors contexte. Il peut aussi poser des problèmes de confidentialité. C’est ce qui explique probablement et malheureusement, que les exemples de legal design portent beaucoup sur l’information juridique et non le conseil juridique ».
En tout cas, il y a une grande marge de progression : visiblement, il y a encore très peu de juristes français qui ont adopté au quotidien une démarche "LD". Souhaitons que ça "bouge".
Aux Etats-Unis :
- les bases de données de jurisprudence PreCYdent (disparue) et FastCase, dont j’évoquais les efforts graphiques dans mon billet de 2009, puis les grandes plateformes Westlaw, lancée en février 2010 (sous le nom WestLawNext) et Lexis Advance, sortie en décembre 2011 [7]
- le professeur de droit Richard K. Sherwin, directeur du Visual Persuasion Project à la New York Law School et expert en communication visuelle. Auteur de Visualizing Law in the Age of the Digital Baroque : Arabesques & Entanglements (2011), il a lancé en 2001 son cours Visual Persuasion in the Law, où il enseigne le rôle, les avantages et les pièges de l’utilisation des images, schémas, dessins et vidéos pour la preuve et dans la plaidoirie. Une de ses interventions, en 2014 : What is Visual Jurisprudence ? (26 septembre 2014)
- en 2012, Margaret Hagan a commencé à dessiner, bloguer et donner des cours sur son Tumblr Law Design Tech (abandonné depuis 2017). On retrouve depuis ses posts sur son blog Open Law Lab et divers projets qu’elle a réalisés sur son site personnel. Elle travaille à la faculté de droit de Stanford, où elle a créé en 2014 et dirige le Legal Design Lab. Cette équipe pluridisciplinaire travaille notamment sur la Visualization for Lawyers : une typologie et une liste des outils permettant aux juristes de visualiser le droit.
M. Hagan est considérée comme une des fondatrices du legal design. Voir aussi son compte Twitter. Son ouvrage en ligne et gratuit Law by Design est un bon point de départ pour qui s’intéresse au sujet, particulièrement la page What is Legal Design ?. Cela dit, son style graphique et son approche très large du legal design ne sont pas ma tasse de thé [8].
Ailleurs dans le monde [9] :
- quatre finlandaises, dont les trois premières regroupées au sein de l’agence Lexpert (centrée sur le contrat) :
- la graphiste Annika Varjonen (sa société : Visual Impact) (compte Twitter)
- Stefania Passera, legal information designer, Finlande (compte Twitter), créatrice du site LegalDesignJam. Voir son remarquable portfolio
- Helena Haapio, une ex-avocate spécialisée dans la représentation visuelle de contrats
- Hannele Korhonen, elle aussi centrée sur la visualisation et le design graphique pour le contrat (sa société Contract Mill numérise les processus de création de contrats)
- Nóra Al Haider, juriste et legal designer hollandaise (compte Twitter)
- Dot. est une agence de conseil entièrement consacrée au legal design, fondée à Helsinki (en Finlande, là encore) par Antti Hinanen et Joanna Rantanen, par ailleurs fondateurs du cabinet d’avocats Dottir Attorneys, et l’avocate d’origine australienne Meera Sivanathan
- Comic Book Contracts
- Robert de Rooy (Afrique du Sud), qui dessine des contrats "legally binding" pour des populations analphabètes ou illettrées.
Emmanuel Barthe
documentaliste juridique, veilleur, formateur
Olivia Zarcate - Understand the Law with Metaphors, Spread the Law with Images from ReInvent Law Channel on Vimeo
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Notes
[1] Voir mon billet de 2009 Vers une représentation graphique du droit. Initialement, le terme utilisé était "legal information design". Il a depuis été simplifié en "legal design".
[2] Pour en finir avec les préconceptions sur le langage clair, par Marie Potel-Saville, Revue pratique de la prospective et de l’innovation, octobre 2020.
[3] Ajourd’hui disparu.
[4] Réalisation Arnaud Ly Van Manh. Le film était hébergé sur l’excellente plateforme Vimeo, qui n’héberge que des films professionnels, de sociétés ou institutions ou de fin d’études. Il a hélas été retiré, le cabinet en question ayant disparu, Me Véron n’exerçant plus que l’arbitrage et en solo.
[5] Présentation du projet par le Centre d’études européennes (CEE), 2011. Les députés font-ils la loi ?, Regards Citoyens..fr 9 février 201
[6] Travail des parlementaires : explorez la Fabrique de la Loi, communiqué de presse de Regards Citoyens, 28 mai 2014
[7] Lexis Launches Advance, Its Next-Generation Research Platform, par Robert Ambrogi, Law Sites, 5 décembre 2011.
[8] A mon sens, la définition du legal design qu’a construite Margaret Hagan est trop large pour être systématisée. Elle inclut ainsi le design de produits informatiques, la relation client-avocat etc. Or qui trop embrasse, mal étreint. Il me semble difficile de maîtriser autant de domaines, qui plus est sans marcher sur les plates-bandes de leurs responsables. Ou alors, on est chef de projet. Mais c’est un autre métier, qui a sa définition et ses codes, assez différents. Par ailleurs, je trouve son style graphique, son dessin, brouillon, peu élégant et pas toujours très lisible, des caractéristiques gênantes dans le milieu des professionnels du droit. Enfin, même si elle est titulaire d’un JD — et non un LLM — en droit de Stanford, elle n’a pas d’expérience professionnelle comme juriste à part quatre stages d’été, ni même comme enseignante en droit.
[9] Source majeure pour cette partie : fil de discussion sur Twitter entre @alexgsmith, @jandersdean, @StewieKee, @noraalhaider et @HanneleKorhonen sur les fondateurs/trices du legal design, 29-30 mai 2018.
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Un ouvrage de droit social avec des schémas sur chaque page de droite
Juin 2016 : sortie du livre d’Audrey Pascal, avocate et intervenante à Toulouse Business School (son blog) : Droit de l’emploi en schémas (Ellipses, mai 2016, 282 pages).
Ce livre présente en page de gauche la partie texte, et en page de droite la partie schémas pour faciliter la compréhension et la mémorisation. Un extrait du livre pour mieux en juger.
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