Le difficile équilibre financier des ouvrages de droit : chiffres de vente et prix moyen
Ou "bibliothèques numériques" v. ouvrages papier
Prix moyens et rentabilité des livres de droit
Les abonnements aux revues papier et surtout ceux aux bases de données sont beaucoup plus rentables pour les éditeurs juridiques que les traités et ouvrages de cours.
Mais publier un ouvrage de cours ou un traité permet généralement à l’éditeur de s’assurer de la fidélité de l’auteur et de sa collaboration, justement, aux revues (commentaires d’arrêts) et plus encore à la rédaction et la mise à jour des études, fascicules, chapitres des ouvrages à mise à jour (JurisClasseurs, Répertoires Dalloz, collection Lamy droit, Dictionnaires Joly ...) qui constituent le fonds le plus utile des plateformes en ligne (Dalloz-Avocats, Lexis 360, Lextenso, Lamyline ...) [1].
Un Mémento Francis Lefebvre papier, c’est dans les 130 euros HT minimum, un grand traité dans les 70 euros HT minimum et un ouvrage de cours peut ne coûter que 35 euros HT. Alors que les bases de données/plateformes en ligne, elles, selon leur contenu, le forfait choisi, le nombre d’accès simultanés ou de juristes (utilisateurs potentiels) et la négociation, démarrent à un peu moins de 1000 euros HT pour un utilisateur.
Un succès de librairie en droit, comme me l’expliquait il y a quinze ans un libraire (Jean-Paul Boissier, le dirigeant-fondateur de Soficom [2]), c’est 500 exemplaires vendus. Un gros traité de 2009 sur les OPA publié chez un grand éditeur juridique fit seulement 450 ventes en dix ans. C’est pourtant un ouvrage réputé, et constamment emprunté.
Cela dit, on constate de bien meilleures ventes des ouvrages de révision (anciennement appelés "mémentos"), notamment ceux de l’éditeur Ellipses et de la collection Carrés Gualino. C’est eux les vrais best sellers du droit.
La concurrence d’Internet ...
De surcroît, d’après les libraires, les achats d’ouvrages des étudiants ont beaucoup baissé depuis une dizaine d’années, notamment avec l’arrivée des fonds en ligne sur les ENT et surtout le développement des "polycopiés" fournis en ligne sur l’ENT et de l’information juridique de base mais de qualité correcte (sans plus) et gratuite sur Internet.
Sans compter que les professionnels du droit [3], bien que plus aisés, sont moins nombreux que les étudiants et collectivement moins riches que les BU.
... pas encore des plateformes d’éditeurs — mais bientôt ?
Si on combine ces faibles chiffres de vente avec l’évolution vers le en ligne — renforcée par le télétravail imposé par la pandémie actuelle —, l’avenir des livres de cours et traités pourrait sembler résider dans les plateformes dites improprement "bibliothèques numériques" [4]. Les principales existant actuellement en droit sont :
- Dalloz-Bibliothèque (le précurseur en droit français, quasi-exhaustive, mais dont l’interface et le moteur n’ont quasiment pas évolué depuis dix ans)
- et la rubrique Ouvrages de la base Lextenso (non exhaustive à l’heure actuelle mais augmentée chaque année et plus ergonomique que sa concurrente) [5].
Les limites des soi-disant "bibliothèques numériques"
Pourtant, il y a un problème de coût, comme le montrent les prix approximatifs donnés ci-dessus. Car les "bibliothèques numériques" des éditeurs ne sont pas vendues livre par livre, mais en bloc. Sans compter qu’on a du mal à trier les ouvrages qu’on veut de ceux qu’on ne veut pas [6]. D’un point de vue tarifaire et contenu, ce sont donc des plateformes en ligne comme les autres.
Il y a là un problème d’accès à l’information juridique qui approche ...
Mais aussi un problème pour les éditeurs juridiques car, dans le contexte actuel de télétravail et de crise économique, s’ils n’assurent pas aux auteurs (pour qui publier et être lus est une condition sine qua none de leur carrière académique [7]) que leurs ouvrages seront publiés en ligne et lus ... D’autant plus que l’attractivité et la lecture des revues juridiques des mêmes éditeurs, dans lesquelles écrivent ces mêmes auteurs, baisse face aux newsletters et réseaux sociaux et que les éditeurs sont en train d’en supprimer certaines [8] ...
Emmanuel Barthe
bibliothécaire documentaliste juridique
Notes
[1] Le cas des éditions Francis Lefebvre est à part : ils ne mettent pas en avant les auteurs et, à part leurs rédacteurs internes anonymes, qui sont les principaux auteurs de leurs Mémentos et Documentations expertes Social et Fiscal, ne font (un peu) travailler que des professionnels.
[2] M. Boissier est décédé hélas en octobre 2013.
[3] Avocats, notaires, huissiers, magistrats.
[4] Improprement car ce n’est pas un éditeur qui constitue une bibliothèque mais un bibliothécaire mais aussi et surtout car, à part les bibliothèques nationales qui reçoivent tout le dépôt légal, une bibliothèque est une sélection et non l’entièreté de la production d’un éditeur.
[5] Sur Lamyline (Wolters Kluwer France) comme sur Navis (éditions Francis Lefebvre) ou Lexis 360, on ne trouve pratiquement que des ouvrages à mise à jour où des Mémentos.
[6] Oui, il y a des livres de droit à ne pas recommander, ça existe, comme dans toutes les matières. Par exemple, la collection Précis de Dalloz compte plusieurs centaines d’ouvrages, dont certains sont bien plus des cours que des traités, ou très bref au regard de la matière. Un cabinet d’avocats en droit des affaires préférera donc ne pas tous les acheter et plutôt sélectionner drastiquement.
[7] Le fameux "Publish or perish", avec en France l’évaluation des Universités par l’HCERES.
[8] Voir notre billet Revues juridiques : le début d’un retrait ?.
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