Le Canard est mal barré
Pourquoi le Canard enchaîné devrait évoluer — et pas qu’un peu
[ Mise à jour au 12/09/2022 : signe que nous avions 100% raison en écrivant ce qui suit en 2019, un article du Monde du 8 septembre 2022 pointe le manque criant de sang neuf à la tête de la rédaction du Canard et le conflit générationnel interne révélés par l’affaire Escarro [1].
Mise à jour au 24 /11/2020 :
- le Canard Enchaîné du 18 novembre publie les comptes 2019 (simplifiés) de la SAS Les Editions Maréchal - "Le Canard Enchaîné". Le résultat négatif est dû à des charges exceptionnelles de 1,4 million d’euros dûes à la faillite de Presstalis, ex-NMPP, la société de diffusion de la presse parisienne
- et surtout, il annonce son prochain passage en ligne — que nous préconisions ici — : « Bientôt, le Canard plongera vraiment dans le monde du numérique. » Il était temps !]
Le Canard Enchaîné est une institution de la presse française. A plus d’un titre :
- lancé le 10 septembre 1915, c’est un des plus vieux titres de presse français vivant [2]
- il est très rentable (pour un organe de presse) et possède assez de réserves financières pour vivre pendant plus de cinq ans sans aucune recette.
Le risque
Le Canard refuse de passer en ligne. C’est une position bien ancrée chez eux. Le comble de ce refus est qu’en fait, le Canard enchaîné a bien une appli, mais réservée aux clients hors UE et Suisse !
Du point de vue de certains veilleurs, s’il ne passe pas en numérique, le Canard Enchaîné va mourir insensiblement, très lentement mais très sûrement en une dizaine d’années [3]. Pourquoi ? Parce que :
- ses ventes stagnent voire baissent très lentement depuis 2005 :
2013 https://www.liberation.fr/ecrans/2014/09/04/les-ventes-du-canard-enchaine-chutent_1093538
2014 : https://www.ojim.fr/diffusion-toujours-en-baisse-pour-le-canard-enchaine-mais-moins-quen-2013/
2016 : https://www.challenges.fr/media/le-canard-enchaine-un-peu-moins-rentable-en-2016_497899
2017 : https://www.challenges.fr/media/le-canard-enchaine-assis-sur-un-pactole-de-128-millions-d-euros_610747
2019 : pour la première fois de son histoire, Le Canard enchaîné a été déficitaire en 2019 [4]. Et la situation ne devrait pas s’arranger en 2020, entre la crise du Covid-19 et la débâcle de Presstalis - globalement, le secteur n’a plus le vent en poupe, et depuis longtemps : les ventes de la presse généraliste française reculent sans cesse et ce, depuis les années 70
- l’auditoire du Canard enchaîné ne se renouvelle pas et vieillit, comme ses journalistes. De plus en plus, sauf scandale lors d’élections nationales, le Canard c’est « les élites (particulièrement les politiques) parlent aux élites »
- ses sujets et sa maquette ne se renouvellent pas non plus
- la concurrence de Mediapart fragilise le Canard. Mediapart est sous les "sunlights" de plus en plus — le Canard de moins en moins. Mediapart est de plus en plus rentable. Mediapart compte 86 salariés — contre une trentaine au Canard [5]
- Mediapart comme la Lettre A sont pur web et les scandales politico-financiers désormais se passent sur Internet, particulièrement sur les réseaux sociaux. Sur Facebook ou Twitter, il est cent fois plus simple et plus rapide de coller un lien hypertexte — qui désormais affiche automatiquement image et titre de l’article — que de devoir photographier un extrait avec son smartphone puis le charger en ligne.
Le remède
Pourtant, le Canard pourrait parfaitement être rentable en ligne :
- son prix est (très) bon marché : 60 euros TTC par an l’abonnement (Mediapart est à 132 euros). Il pourrait donc financer son passage en ligne soit avec ses réserves financières soit par une augmentation du prix de son abonnement
- Mediapart, lancé en 2008 et qui a atteint son point mort dès 2011, en a fait la démonstration avec ses excellents résultats financiers 2017 : la spécialisation/les niches permettent aux pure players de s’en sortir [6]
- à part la Lettre A et Mediapart, le Canard n’a plus d’autre concurrent sur le segment des "affaires". Marianne n’est plus vraiment un concurrent sur ce segment.
Emmanuel Barthe
veilleur presse
PS : attention, mettons-nous bien d’accord, je n’ai pas écrit que toute la presse pure player est par définition rentable. Loin de là : des initiatives originales (comme les défunts explicite.info et Owni) et de qualité ont de grandes difficultés [7]. La presse, quand elle n’exploite pas certains filons en nombre très limité — comme les affaires politico-économico-financières ou les "people" — a besoin d’investisseurs prêts à la soutenir contre vents et marées, qu’ils agissent par conviction, par intérêt ou par souci d’influence [8].

Notes
[1] Conflit de générations au Canard enchaîné : « C’est l’histoire d’une boîte où on ne peut pas ouvrir sa gueule », par Aude Dassonville, Le Monde.fr, 8 septembre 2022.
[2] Le plus vieux est Le Figaro ou le Journal de Saône et Loire, au choix. La Croix, lui, date de 1883.
[3] Voire une quinzaine d’années au mieux.
[4] Les comptes du Canard enchaîné basculent dans le rouge, La Lettre A, 9 novembre 2020.
[5] Source : les chiffres cités dans les articles Wikipedia sur eux.
[6] Pas aux généralistes (Rue89 ...).
[7] Electron Libre survit mais c’est une newsletter très spécialisée, de niche et avec un angle "geek" (les sujets : propriété intellectuelle, médias et informatique) et avec des frais de fonctionnement faibles (pas de grandes enquêtes, peu d’articles longs). Explicite.info s’est arrêté fin janvier 2019, et Les Jours font appel aux dons de leurs lecteurs. Cf Les pure players de l’information luttent pour leur survie, Challenges, 14 février 2019. On se souvient aussi des déboires du défunt Owni.
[8] Les exemples de soutien appuyé d’investisseurs à des titres de presse abondent, anciens aussi bien que récents. Dernier en date : Bolloré renfloue son quotidien gratuit CNews de 34 millions d’euros, La Lettre A/PresseNews, 30 janvier 2019.
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