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E-books et droit

Les "trous" de la proposition de loi sur le prix du livre numérique
Notamment, elle exclut les plateformes en ligne ... et donc les sciences, le juridique et l’IST

Le commentaire par François Bon, éditeur de livres purement numériques sur publie.net, de la proposition de loi sur le prix du livre numérique [1] permet de comprendre un point crucial pour les juristes et documentalistes juridiques : la future loi, principalement destinée à éviter aux grands éditeurs français de passer sous les fourches caudines des librairies en ligne d’Amazon, Apple et Google, ne s’appliquera pas aux plateformes en ligne et autres bases de données, notamment juridiques. Leur prix à elles ne sera ni obligatoirement public, ni unique.

L’exposé des motifs :

« le troisième alinéa tend à exclure de cette obligation les offres dites "composites", de manière à ne pas interférer sur le modèle économique des éditeurs scientifiques et techniques proposant de longue date des produits spécifiques à un public professionnel. »

Les dispositions :

« Article 2
Toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale est tenue de fixer un prix de vente au public. Ce prix est porté à la connaissance du public dans des conditions fixées par décret.
Cette personne fixe un prix de vente au public qui peut différer en fonction du contenu de l’offre, de ses modalités d’accès ou d’usage.
Les dispositions du premier alinéa ne s’appliquent pas aux licences d’accès aux bases de données ou aux offres associant des livres numériques à des contenus d’une autre nature ou à des services et proposées à des fins d’usage collectif ou professionnel. »

F. Bon :

« Aveu de taille, démission pour tout ce qui concerne les sciences (ne pas interférer sur le modèle économique des éditeurs scientifiques et techniques proposant de longue date des produits spécifiques à un public professionnel – les sciences et les techniques réservées au public "professionnel", ça en dit long d’ailleurs sur leur connaissance des facs et leur connaissance tout court), notre humanité se divise verticalement selon les loisirs et le savoir ? »

Une remarque en passant : une proposition de loi vient d’être déposée pour une TVA à taux réduit sur les ouvrages numériques. Quel taux va donc être retenu pour le contenu en ligne d’ouvrages papier intégrés dans une plateforme en ligne ou pour de purs e-books intégrés là aussi dans une offre bases de données ? Pour l’instant, l’Etat considère que ces plateformes en ligne sont une prestation de services et applique à l’ensemble une TVA à 19,6% ...

D’autres points semblent importants, pour la communauté des bibliothécaires : selon le futur droit français, donc, le numérique ne devrait pas permettre plus que le papier de faire des économies à l’achat. Et ce sera comme le délai de passage des films sur Canal+ et les chaînes de télévision gratuites. Pourquoi ? Lisez l’exposé des motifs :

« L’article 3 pose l’obligation pour toutes les personnes exerçant une activité de vente de livres numériques de respecter le prix fixé par l’éditeur. Une même offre sera donc vendue au même prix quel que soit le canal de vente utilisé. Cette obligation ne s’impose cependant qu’aux seuls opérateurs commerciaux établis en France.
Le second alinéa encadre la pratique des offres groupées de livres numériques, de type location ou abonnement (par exemple bouquets proposés par un opérateur de télécommunications), en prévoyant qu’elles ne peuvent porter que sur des livres numériques commercialisés depuis un certain délai qui sera déterminé par un décret simple. Cette mesure permet de préserver la diversité des différents réseaux de distribution assurant la commercialisation de nouveautés. »

Le manque de considération pour les pionniers et "pure players" du livre numérique qui sous-tend toutes ces dispositions est explicite dans l’article 1er de la proposition :

« La présente loi s’applique au livre numérique consistant en une oeuvre de l’esprit créée par un ou plusieurs auteurs, commercialisé sous forme numérique et ayant été préalablement publié sous forme imprimée ou étant, par son contenu et sa composition — à l’exclusion des éléments accessoires propres à l’édition numérique —, susceptible de l’être. »

Accessoirement, se pose aussi la question du prêt de ces e-books. En effet, ils ne sont vendus que sous licence. Et par définition, un contrat de licence n’est pas une cession de propriété, donc ne permet pas le prêt, sauf autorisation expresse à négocier par ailleurs.

Enfin, comme me le faisait remarquer un professionnel du livre, cette proposition de loi comporte quelques "trous" par où pourraient se glisser pas mal d’acteurs :

  • la proposition de loi fait explicitement référence, pour définir le livre numérique dont elle parle, au livre imprimé. Or elle ne donne aucune définition du livre imprimé [2]. Le problème, c’est que si une jurisprudence de la Cour de cassation a défini le livre, aucun texte de droit français positif ne définit le livre papier. Seule une instruction fiscale définit le livre ... scolaire
  • et quid des éditeurs et libraires français qui passeront un contrat de droit étranger avec un libraire en ligne étranger (on pense ici à Apple et Amazon USA) ? La future loi pourra t-elle les empêcher de vendre depuis des serveurs étrangers en dessous du prix unique ? Probablement pas, puisque c’est déjà le cas pour les ouvrages papier, malgré la loi Lang ...

Pour citer B. Tabaka, qui s’y connaît un peu dans ce domaine, sur son compte Twitter : « La Commission européenne [attend] avec impatience l’adoption de la PPL livre numérique pour engager une procédure contre la France ».

Emmanuel Barthe
bibliothécaire documentaliste juridique

Notes

[1Proposition de loi relative au prix du livre numérique, document Sénat n° 695, 8 septembre 2010.

[2Par exemple, les partitions de musique avec des images et du commentaire sont elles des livres ?