Justice — Effectifs des greffes et diffusion des arrêts : un thème en baisse — Numérisation des procédures : un thème en hausse
... et celles de l’entretien donné au Monde par la ministre de la Justice
Le 30 mai 2007, Vincent Lamanda [1] prenait ses fonctions de nouveau Premier Président de la Cour de cassation [2].
Son discours de prise de fonctions jette, malgré toute la diplomatie du propos, un regard rapide mais lucide sur l’état de la Justice, et notamment de son financement en termes de moyens et de personnel.
Audience solennelle d’installation du premier président de la Cour de cassation le 30 mai 2007 - Propos de M. Vincent Lamanda - Extraits :
« Madame le directeur du greffe,
Il ne peut s’instaurer entre nous qu’une véritable communauté de vues. La règle est absolue : pas de bonne juridiction sans un bon greffe. Trop méconnus, les fonctionnaires des services judiciaires sont pourtant les chevilles ouvrières du succès de nos projets. »
Toutefois, à mon sens, il glisse un peu trop vite sur le rôle crucial des greffiers. Certes, il n’oublie pas de rappeler l’importance de leur rôle, mais on aurait bien aimé qu’il développe un peu, tant le sous-effectif des greffiers et la complexification de leur travail sont évidents [3]. La qualité de la Justice au quotidien, pour le justiciable de base comme pour l’avocat d’affaires ou le dirigeant d’entreprise jugé au pénal, en dépend directement. Or des signes laissent entendre que la numérisation des procédures s’accompagnerait de réduction d’effectifs ...
On retrouve là la classique, mais semble t’il légitime, demande de moyens supplémentaires, le nombre de magistrats n’ayant que peu évolué depuis le 19e siècle [4].
« [...] un vieux rêve : un corps judiciaire doté de moyens appropriés, respecté de tous ses partenaires, riche de sa diversité, mais dépourvu de dissensions, passionné par ses fonctions, mais les exerçant, quoi qu’il arrive, sans passion, transparent dans sa manière d’agir, mais gardien vigilant des secrets qu’il détient, recevant de la société autant de confiance qu’il lui en apporte. »
Je note au passage que M. Lamanda n’évoque pas le sujet sensible de la diffusion de la jurisprudence de la Cour et de celle des cours d’appel. Une "transparence" bien déficiente, les décisions de justice étant publiques et communicables dans la plupart des cas, alors même que certain éditeur obtient sans problème de très nombreuses décisions de première et deuuxième instance non présentes sur la base JURIDICE de Legifrance, qui semble toujours aussi en retard et presque toujours aussi "bloquée" [5].
De toute façon, ni la diffusion du droit ni les moyens donnés aux services de la Justice ne semblent faire partie, au moins pour l’instant, des priorités de la nouvelle Garde des Sceaux [6], pourtant elle-même magistrate.
En revanche, juste avant la fin de l’entretien, elle indique qu’elle compte reprendre à sa charge le dossier de la numérisation des procédures :
Rachida Dati, entretien donné au Monde le 2 juin 2006 (propos recueillis par Nathalie Guibert et Alain Salles) :
« Quels sont vos autres chantiers prioritaires ?
[...] Je souhaite également développer avec détermination une numérisation des dossiers judiciaires, pour améliorer l’efficacité de la justice. Ainsi, les avocats pourront avoir accès en ligne à leurs dossiers. »
Bon, ce n’est pas demain la veille ... [7] Mais comme au moins au niveau de la Cour de cassation et des juridictions administratives, le projet est bien avancé, avec télétransmission de la majeure partie du contenu d’un dossier, on peut être optimiste pour les juridictions judiciaires des premiers et deuxièmes degrés.
En revanche, question moyens humains [8] et diffusion du droit, on reste clairement sur sa faim.
Emmanuel Barthe
documentaliste juridique et consommateur de justice :-)
Notes
[1] Cour de cassation : Vincent Lamanda imprime sa marque dès son arrivée / Valérie de Senneville, Les Echos 31 mai 2007.
[2] Le Premier Président de la Cour de cassation est le responsable hiérarchique le plus haut placé de l’institution. Il est son "patron", son "dirigeant", pour reprendre une expression du monde de l’entreprise.
[3] Le rapport d’audit de la numérisation de l’ensemble des procédures pénales (PDF) rendu en novembre 2006 parle expressément des « insuffisances d’effectifs qui affectent les greffes [pénaux] des tribunaux ». Voir la note 14 de notre article Informatisation des procédures pénales : où en est on ?.
[4] "Il y avait le même nombre de magistrats sous le Second Empire qu’aujourd’hui" : entretien avec Bruno Thouzellier, président de l’Union syndicale des magistrats (USM), 22 janvier 2007, disponible sur le site web de la fédération syndicale UNSA Education. Sur la période récente 1996-2005, on peut aussi comparer, dans les rapports d’activité du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), les chiffres sur les effectifs des magistrats, par exemple en 2005 (au 1er novembre 2005, 5229 magistrats au siège hors Cour de cassation et chefs de juridiction.) et en 1996 (4299 magistrats du siège, hors Cour de cassation et chefs de juridiction).
[5] Voir notre article Juridice : la base publique venant remplacer Juris-Data est bloquée. Il date un peu, mais rien n’a fondamentalement changé depuis.
[7] Lire nos brèves et articles sur les — souvent lentes — avancées de l’e-administration en France.
[8] Il n’est pas question ici de polémique ou de politique : il s’agit d’un constat, de faits — de besoins devrait on dire — officiellement reconnus, comme on l’a vu plus haut.
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