Google se remet à l’écoute des utilisateurs de haut-vol et des documentalistes
Comme quoi écouter des gens qui ne représentent que 3% des utilisateurs est une démarche intéressante
« Google, qui avoue avoir reçu beaucoup de demandes en ce sens, propose désormais aux utilisateurs d’imposer au moteur de recherche de respecter scrupuleusement les termes saisis. »
En lire plus : Google lance Verbatim pour les recherches précises / G. Champeau, Numerama 15 novembre 2011. Le billet de GG sur Verbatim sur son blog Inside search.
Verbatim n’est pour l’instant accessible que sur la version anglophone de GG.
Personnellement, dans mes recherches en droit français et communautaire [1], j’ai très, très peu eu ce problème. Probablement en partie parce que je ne reste jamais connecté à mon compte Google (par défaut, GG tient compte pour livrer ses résultats de vos anciennes recherches [2]). Mes collègues documentalistes anglo-saxonnes, telle Karen Blakeman, en revanche, ont eu souvent à s’en plaindre ...
Comme quoi, même s’il a fallu beaucoup et longtemps protester, il y a quand même de grandes firmes, dans le monde de l’information, qui écoutent les "power users" [3], ces dingues d’informatique et/ou d’Internet [4] et/ou de veille et/ou de recherche, ces "high-end knowldege workers" [5]. Or les documentalistes en font partie, de ces power users.
Le problème, c’est que seuls quelques pour cent des requêtes utilisent des opérateurs logiques (les ET, OU, SAUF). Nombre de fournisseurs — SSII, éditeurs ... — en ont vite déduit que les documentalistes et autres utilisateurs avancés ne représentaient pas une population cible. Or, c’est cette catégorie d’utilisateurs de pointe [6] qui, en 1997, a été convaincue par ce qui n’était à l’époque qu’un nouveau moteur parmi d’autres et a "évangélisé" les autres, assurant ainsi le succès de GG.
On aimerait que le comportement récent de Google vis-à-vis des power users — qui sont aussi des acheteurs expérimentés [7] — fasse école, et pas seulement en termes de "search". Certains éditeurs nous écoutent [8] et on les en remercie, d’autres moins. En tout cas, de notre côté, nous les écoutons beaucoup.
Si la tentation (compréhensible, certes) des éditeurs juridiques est de "faire du Google", il faudrait à ce moment-là aller jusqu’au bout de la démarche et, comme Google ici, conserver voire améliorer les fonctions de recherche pour les utilisateurs de haut niveau des bases de données [9]. Pas seulement pour faire comme Google, simplifier et fiabiliser la recherche et plaire ainsi aux utilisateurs de base. Mais aussi, tout simplement, parce que ces "boîtes noires" [10] ratent parfois leur coup [11]. Et parce que les recherches très complexes, ça existe, et qu’il faut bien que des outils continuent à les permettre, ne serait ce que vu le standard des prix du secteur.
Sur ce sujet, les documentalistes juridiques ont justement deux demandes récurrentes vis-à-vis des plateformes en ligne :
- moteur : garder un mode Avancé de recherche. Autrement dit, un formulaire de recherche doté de tous les champs et tous les opérateurs de recherche. C’est ce que je rappelle depuis 2007 dans ce Petit guide de conception des plateformes, bases de données et sites juridiques à destination des SSII, des éditeurs et des institutions
- navigation : garder le sommaire et l’index alphabétique comme accès aux ouvrages et revues [12].
Emmanuel Barthe
documentaliste juridique
Notes
[1] Communautaire : terme juridique pour désigner le droit européen de l’UE (Union européenne, ex-CE), pas celui du Conseil de l’Europe ni de l’AELE. C’est comme ça le droit : c’est précis. (D’où le nom de domaine de ce site.)
[2] Le billet de Google sur Verbatim liste de manière très pratique la plupart des biais qu’il utilise par défaut pour "corriger" à sa façon vos requêtes/questions.
[3] Littéralement : utilisateurs à haute dose et haute compétence. Ici utilisé dans un sens légèrement plus large que l’acception habituelle, qui réduit le domaine de cette expression à l’utilisation d’un ordinateur.
[4] Cf la liste de logiciels pour power users de SebSauvage.net, probablement un des meilleurs sites web français sur la sécurité informatique et Internet.
[5] Littéralement : travailleurs du savoir de haut niveau.
[6] J’en ai fait partie.
[7] Cf nos billets L’acheteur de documentation face à la hausse des prix : deux prises de position et Documentation juridique : négociez vos contrats d’accès en ligne.
[8] Ils n’ont pas eu à s’en plaindre, d’ailleurs. Bénéficier des conseils argumentés de béta testeurs de haut niveau connaissant bien les utilisateurs moyens, c’est vrai que c’est intéressant. Ca suppose un minimum de réciprocité dans les échanges. A ne rien voir venir, les béta testeurs se lassent ...
[9] Catégorie qui ne comprend pas seulement les bibliothécaires documentalistes, mais aussi les chercheurs universitaires, certains juristes solo, les collaborateurs juniors et les stagiaires.
[10] Boîtes noires pour l’utilisateur moyen. Nettement moins pour les "power users".
[11] Le raté, alors, est partiel, rarement total.
[12] Oui, les tables matières de revues, lorsqu’elles sont bien faites, sont précieuses. Or, avec le développement du numérique, elles tendent à disparaître.
Commentaires
2 commentaires
Google se remet à l’écoute des utilisateurs de haut-vol : affordance pas d’accord
Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication et auteur du blog affordance.info, me tacle sans le vouloir, avec son billet Vers une sanctuarisation du Search :
Cette évolution, je la constate moi aussi depuis plusieurs années chez Bing et GG, et aussi chez les interfaces des plateformes en ligne payantes de plusieurs éditeurs juridiques.
Pour autant, ces mêmes éditeurs, comme GG, maintiennent les opérateurs booléens alors même qu’ils nous disent que les requêtes avec opérateurs ne constituent que 1 à 3% du total. J’allais dire "normal" puisqu’on ne pousse pas à les utiliser.
Pourtant, mon expérience personnelle me prouve que, correctement formés, les "chercheurs" juristes les utilisent, ces opérateurs, lorsque la difficulté de la recherche l’exige.
Autrement dit : la recherche avancée est un luxe nécessaire. Opérateurs logiques not dead.
Google se remet à l’écoute des utilisateurs de haut-vol : Chris Bradley implicitement pas d’accord non plus
Un collègue de Karen Blakeman, Chris Bradley, trouve lui aussi que GG supprime trop de fonctionnalités avancées, ces fonctionnalités que les fameux "3%" d’utilisateurs qui utilisent les opérateurs booléens (les documentalistes, mais pas seulement, les "power users" aussi).
Personnellement, je pense que les plateformes en ligne payantes devraient les maintenir (ou leurs futurs équivalents) ad vitam aeternam, tout simplement parce que des fonctions avancées sont nécessaires pour des utilisateurs avancés et pour des requêtes/questions avancées (i.e. dépassant le niveau de complexité habituel).
Je me doute que chez les éditeurs existe la tentation de les enlever pour faire des économies. Ce ne serait pourtant pas un service à rendre à leurs clients. Ce serait a "disservice" comme on dit en anglais.
Laisser un commentaire