L’e-administration avance lentement (suite) — Numérisation des procédures civile et pénale : le point de vue plus réaliste des avocats
Les avocats et leurs instances représentatives sont nettement plus sceptiques — comme votre serviteur d’ailleurs — que l’Administration sur l’état d’avancement de la numérisation des procédures devant les tribunaux et des communications avec les avocats et autres professions judiciaires.
Cela s’esprime à merveille dans les deux documents ci-dessous, dont je cite de nombreux extraits (les gras sont de nous). L’ironie et le doute affleurent presque à chaque paragraphe et le réalisme essaie de raisonner l’optimisme de l’Administration. Pour autant, on enregistre une réelle volonté d’avancer, et des deux côtés.
Sur le site e-barreau
Sur le site e-barreau, on trouve des informations sur la numérisation des communications avec les juridictions :
« Une convention a été signée le 28 septembre 2007 par le Ministre de la Justice et le président du Conseil National des Barreaux sur la communication électronique entre les TGI et les avocats qui définit une connexion unique du réseau avocat au réseau justice.
Elle entérine les modalités de la mise en état électronique et de sa mise en oeuvre dans le cadre de conventions locales.
Grâce à la plate-forme e-Barreau accessible depuis le RPVA :
- pour consulter et récupérer les dossiers des affaires et le registre des audiences au TGI
- pour envoyer et recevoir les courriers électroniques et équivalents électroniques d´actes et pièces de procédure avec le greffe du TGI.
L´accès au service e-Barreau est réservé aux avocats abonnés au RPVA [1]. »
Pour en savoir plus sur e-Barreau et le RPVA, voir cette présentation (format PowerPoint).
Un correspondant anonyme de Me Creisson apporte aussi cette précision sur les partenaires techniques du RPVA :
« Le RPVA est fourni par plusieurs prestataires conjointement :
- la filiale Equant de France Telecom pour l’hébergement d’une partie des services du RPVA, en communication avec les serveurs disposés dans chaque TGI par la Chancellerie sous l’égide de la SSII Thales
- Certeurope pour le certificat
- Navista pour la sécurisation des flux entre les cabinets et le serveur du RPVA
- les fournisseurs d’accès Internet des cabinets d’avocats, maintenant avec un libre choix, ce qui n’était pas le cas avant. »
Le rapport du CNB
Le Rapport d’étape du CNB (remis à l’assemblée génrale du CNB des 14 et 15 septembre 2007) intitulé "RPVA et la mise en oeuvre du plan de développement des nouvelles technologies dans les juridictions" (PDF) est également très instructif. En voici les extraits pertinents :
LE NOUVEAU CALENDRIER DE LA CHANCELLERIE
« La totalité des TGI devront être dotés des outils de la numérisation au 1er janvier 2008. [commentaire personnel : ambitieux, pour le moins]
La crédibilité de ce plan de déploiement est assurée par la signature d’une convention avec la Caisse des dépôts, qui met à la disposition du ministère des moyens financiers, techniques et humains.
Le projet est donc d’équiper trois TGI par jour, à compter du 1er octobre ... [commentaire personnel : les points de suspension mis ici par le CNB illustrent bien un certain, disons, doute] [2]
On mesurera l’importance de l’effort en se rappelant qu’au cours des trois précédentes années la Chancellerie n’était parvenue à équiper qu’une seule juridiction pilote (Lille). [là encore, le CNB doute ...]
La très forte mobilisation de la Chancellerie s’est aussi traduite par une circulaire de Monsieur Marc Moinard en date du 3 août 2007 fixant le calendrier de 7 réunions régionales d’information couvrant l’ensemble des secteurs concernés par le plan de développement des nouvelles technologies.
Ces réunions se tiendront du 18 septembre au 30 octobre. »L’ADAPTATION DE L’OFFRE DU CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX
L’évolution de l’offre technologique
« Le nouveau réseau privé virtuel avocat [RPVA] disponible depuis le 1er septembre 2007 offre désormais la possibilité à l’avocat de conserver le fournisseur d’accès Internet de son cabinet tout en garantissant le niveau de sécurité défini par le Ministère de la Justice.
Cette nouvelle offre s’appuie sur la technologie mise en place par la société NAVISTA. Les échanges entre utilisateurs au sein du réseau et entre un utilisateur et le serveur de services (e-barreau) sont cryptés car ils utilisent un VPN (réseau privé virtuel : tunnel complètement sécurisé par cryptage des données transitées.
Cette solution se présente physiquement sous la forme d’un boîtier à raccorder directement au routeur ADSL/SDSL du cabinet (Oleane, Livebox, Freebox, Neufbox, etc.) Chaque boîtier est paramétré en fonction des équipements et des services existants au sein du cabinet. Par conséquent, cette installation n’influe en rien sur le réseau existant du cabinet, il n’y a aucun changement d’adresses mails, les services de télémaintenance ou les accès distants au cabinet restent inchangés.
Le niveau de sécurité est assuré par le système de chiffrement embarqué dans le boîtier, lequel a reçu l’autorisation de la DCSSI (Direction Centrale de la Sécurité des Systèmes d’Information) et par la protection de chaque site vis à vis d’internet (firewall embarqué).
Dés que le boîtier est installé, le cabinet est sécurisé et peut donc communiquer avec sa juridiction par l’intermédiaire de la plate-forme e-barreau.
L’avocat n’a aucune autre tâche à réaliser, le tunnel sécurisé est créé dés que l’avocat demande à accéder à l’application e-barreau, en renseignant dans son navigateur Internet l’adresse : https://www.e-barreau.fr. Il lui reste alors à s’authentifier grâce à la clé USB cryptographique et au certificat avocat qu’elle contient.
La solution nouvelle, qui coexistera donc avec l’ancienne [3] jusqu’à l’expiration du contrat avec France Télécom, permet, sans renoncer en rien aux exigences de sécurité, de répondre à la plupart des critiques formulées et des faiblesses constatées lors du déploiement dans les cabinets pilotes :
- elle est facile à mettre en oeuvre, puisqu’elle se greffe sur les systèmes existant au sein des cabinets et n’implique aucune interruption du service
- elle laisse une entière liberté aux avocats dans le choix de leur fournisseur d’accès, et des débits qui leur paraissent nécessaires pour leurs autres applications
- elle n’impose aucun changement d’adresse puisque la messagerie avocat-conseil s’ajoute à la messagerie existante que le cabinet peut choisir de conserver
- elle permet de distinguer clairement les coûts de connexion internet et le coût du accordement aux greffes
- elle n’impose que des coûts réduits aux avocats collaborateurs. »
L’EXTENSION DU CHAMP D’APPLICATION DES NOUVELLES TECHNOLOGIES
LA PROCEDURE PENALE
« En 2005, la convention passée avec la Chancellerie ne couvrait que la mise en état du TGI.
La profession n’avait pas été associée à la numérisation des procédures pénales, et il n’était rien envisagé de mieux que la fourniture de CD ...Il a donc été convenu de la signature d’une nouvelle convention nationale entre le Conseil National et le ministère reprenant sans changement les dispositions de la convention de 2005 en ce qui concerne la procédure civile, mais intégrant la communication en matière pénale. »
Echange de courriers électroniques et transmission des copies des procédures pénales numérisées
« Les services qui peuvent faire l’objet de communication électronique sont : la transmission de l’équivalent électronique d’acte et de pièces de procédure, l’échange de courriers électroniques délivrance des copies.
Il s’agit notamment de l’émission de la demande de copie par l’avocat et de la réception par ce dernier de l’équivalent de la procédure pénale après sa numérisation.
Dans le cas d’une procédure d’information judiciaire, la copie du dossier sollicitée par l’avocat est traitée conformément aux dispositions de l’article 114 du code de procédure pénale.
La demande peut se faire sous forme de message électronique.Ces dispositions doivent être considérées comme constituant le cadre initial de la réflexion, et il entre dans les objectifs de la commission intranet et nouvelles technologies, en collaboration avec les autres commissions intéressés du conseil, de définir avec plus de précision les besoins dans ce domaine.
Il faut ainsi souligner que les échanges resteront limités par les capacités elles mêmes limitées des boîtes aux lettres du RPVJ ...
Il faudra donc exiger très rapidement des améliorations au dispositif existant.
Mais il était important que le chantier de la numérisation, dans ce domaine particulièrement sensible, cesse d’être mené uniquement par les administrations, et dans leur seul intérêt. »
LA VISIO CONFERENCE
« L’intention de la Chancellerie est également de développer la visio-conférence.
Il a donc été annoncé que dans le cadre du plan en cours de réalisation, serait équipée, dans toutes les juridictions, une salle d’audience.
La volonté de recourir à la visio-conférence dépasse aujourd’hui très largement le seul champ de la mise en application des dispositions déjà inscrites dans le code de procédure pénale.
Il n’a pas semblé souhaitable, sur ce point de prendre le moindre engagement dans la convention nationale. Celle-ci ne prévoit donc que la mise en place d’une commission de réflexion. »
Clairement, notre série "L’e-administration avance (lentement)" n’est pas finie. Au prochain épisode !
Notes
[1] RPVA = Réseau Privé Virtuel Avocats, autrement dit un intranet pour l’ensemble de la profession et très conçu pour les avocats solo.
[2] Selon le discours de Mme Dati, garde des Sceaux :
« Dès le 1er janvier 2008, en matière pénale tous les TGI et les Cours d’appel seront dotés de scanner et de serveurs performants qui permettront de numériser les dossiers. En matière civile tous les tribunaux de grande instance sont dotés d’un système qui permettra aux avocats de suivre l’état de leur procédure en ligne sans se déplacer."
« Dès le 1er janvier 2008, les Cours d’appel et les tribunaux de grande instance seront dotés de serveurs et scanners performants permettant la numérisation des
procédures pénales afin de faciliter le traitement et la consultation ainsi que la transmission des copies aux avocats par la voie du RPVA.
« Dès le 1er janvier 2008 également, le module de communication électronique avec les avocats (COMCI) sera implanté dans toutes les juridictions sur des serveurs
dédiés.
« La mise en oeuvre de cette application associée au déeloppement du RPVA (réseau privé virtuel des avocats) et au site de consultation e-Barreau, mis en oeuvre par le
CNB permettra les échanges électroniques au niveau de la mise en état avec les avocats ainsi que la consultation par tous du calendrier de procédure et la délivrance des actes de procédure. »
[3] Note de l’auteur : ancienne solution très peu pratique ... Les détails — édifiants — sont en note de bas de page dans le PDF cité. Je ne résiste pas à les citer : « La mise en place de l’ADSL suppose une intervention physique, dans les locaux techniques téléphoniques (pose d’une broche). Cette intervention n’est elle-même possible que sur une ligne "libre" n’étant pas déjà utilisée par un autre fournisseur d’accès internet. Ces contraintes techniques compliquent considérablement la mise en place du RPVA dans les cabinets.
Car pour peu que le cabinet ne dispose que d’une seule ligne "fil de cuivre", le passage d’un opérateur à l’autre sans interruption de la liaison internet relève de la mission impossible ! Même lorsque le précédent opérateur appartient déjà au groupe France Telecom (via Wanadoo ou Oléane) les choses ne sont guère plus simples, en raison de l’absence de coordination entre les équipes techniques !
L’implantation du RPVA est donc un processus lent, et qui nécessite un suivi individuel, par l’équipe informatique du Conseil. On connaît les dimensions (modestes) de celle dont dispose le Conseil. ».